Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/596

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Si respectueux que personne ne puisse m’accuser de lui avoir manqué le moins du monde, je lui exposerai doucement la doctrine des Anciens. Que cette doctrine condamne sa conduite, il ne pourra pas m’en vouloir, puisqu’elle n’est pas de moi. Ne pensez-vous pas, maître, que je puisse corriger ainsi le prince de Wei ? — Tu ne le corrigeras pas, dit K’oung-ni. Cela, c’est le procédé didactique, connu de tous les maîtres, et qui ne convertit personne. En parlant ainsi, tu n’encourras peut-être pas de représailles, mais c’est là tout ce que tu obtiendras. — Alors, demanda Yen-Hoei, comment arriver à convertir ? — En s’y préparant, dit K’oung-ni, par l’abstinence. — Oh ! dit Yen-Hoei, je connais cela. Ma famille est pauvre. Nous passons des mois, sans boire de vin, sans manger de viande. — C’est là, dit K’oung-ni, l’abstinence préparatoire aux sacrifices. Ce n’est pas de celle là qu’il s’agit, mais bien de l’abstinence du cœur. — Qu’est-ce que cela ? demanda Yen-Hoei. — Voici, dit K’oung-ni : Concentrer toute son énergie intellectuelle comme en une masse. Ne pas écouter par les oreilles, ni par le cœur, mais seulement par l’esprit. Intercepter la voie des sens, tenir pur le miroir du cœur ; ne laisser l’esprit s’occuper, dans le vide intérieur, que d’objets abstraits seulement. La vision du principe exige le vide. Se tenir vide, voilà l’abstinence du cœur. — Ah ! dit Yen-Hoei, je ne savais pas cela, c’est pourquoi je ne suis qu’un Yen-Hoei. Si j’atteignais là, je ne serais plus Yen-Hoei ; je deviendrais un homme supérieur. Mais, pratiquement, peut-on se vider à ce point ? — On le peut, dit K’oung-ni, et je vais t’apprendre comment. Il faut, pour cela, ne laisser entrer du dehors, dans le domaine du cœur, que des êtres qui n’aient plus de nom ; des idées abstraites, pas des cas concrets. Le cœur ne doit vibrer qu’à leur contact (notions objectives) ; jamais spontanément (émotions subjectives). Il faut se tenir fermé, simple, dans le pur naturel, sans mélange d’artificiel. On peut arriver ainsi à se conserver sans émotion, tandis qu’il est difficile de se calmer après s’être laissé émouvoir ; tout comme il est plus facile de ne pas marcher, que d’effacer les traces de ses pas après avoir marché. Tout ce qui est artificiel est faux et inefficace. Seul le naturel est vrai et efficace. Attendre un effet des procédés humains, c’est vouloir voler sans ailes ou comprendre sans intelligence… Vois comme la lumière qui entre du dehors par ce trou du mur s’étend dans le vide de cet appartement, et s’y éteint paisiblement, sans produire d’images. Ainsi les connaissances abstraites doivent s’étendre dans la paix, sans la troubler. Si les connaissances restées concrètes créent des images ou sont réfléchies, l’homme aura beau s’asseoir immobile, son cœur divaguera follement. Le