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Chap. 11. Politique vraie et fausse.

A.   Il faut laisser le monde aller son train, et ne pas prétendre le gouverner. Autrement les natures viciées n’agiront plus naturellement (mais artificiellement, légalement, rituellement, etc.). Quand toutes les natures, étant saines, se tiennent et agissent dans leur sphère propre, alors le monde est gouverné, naturellement et de lui même ; pas n’est besoin d’intervenir. — Jadis, par son gouvernement, le bon Yao réjouit ses sujets. Or la joie, qui est une passion, rompt l’apathie naturelle. Le gouvernement de Yao fut donc défectueux, puisqu’il passionna ses sujets. — Le méchant Kie affligea ses sujets. Or l’affliction, qui est une passion, rompt la placidité naturelle. Le gouvernement de Kie fut donc défectueux, puisqu’il passionna ses sujets. — Toute émotion, étant contre nature, est instable et ne peut durer. Le plaisir, la complaisance sont des émotions du principe yang. Le déplaisir, le ressentiment sont des émotions du principe yinn. Dans le macrocosme, la perturbation du yinn et du yang fait que les quatre saisons ne viennent pas à leur heure, que la succession du froid et du chaud n’arrive pas à point nommé. Dans le microcosme humain, le déséquilibrement du yinn et du yang par les passions cause pareillement de grands désordres. Les corps souffrent, les esprits pâtissent. Les hommes ne tiennent plus en place, perdent le contrôle de leurs pensées et de leurs désirs, entreprennent et n’achèvent pas, (leurs passions mobiles se portant sans cesse vers d’autres objets). Alors, dans l’empire, naissent les ambitieuses prétentions, les luttes pour la domination. Alors les uns deviennent des Tchee (brigands), les autres des Tseng-chenn et des Cheu-ts’iou (politiciens). Alors on légifère, dans le but de récompenser les bons et de punir les méchants. Tâche surhumaine, tentative impossible, vu le nombre des uns et des autres. Hélas ! c’est pourtant à cela que les gouvernants des trois dynasties ont perdu leur temps et leur peine, au lieu de suivre tranquillement le cours de leur nature et de leur destinée. — Toute théorie, toute convention, est fausse et fausse. Les théories optiques ont faussé la notion naturelle des couleurs. Les théories acoustiques ont altéré la vraie notion des sons. Les théories sur la bonté ont perverti la spontanéité des relations. Les théories sur l’équité ont oblitéré le sens inné de la justice. Les théories sur les rits ont produit la subtilité, celles sur la musique ont développé la lascivité. Les théories sur la sagesse ont multiplié les politiciens, celles sur la science ont multiplié les ergoteurs. Passe encore que, s’en tenant pratiquement aux lois naturelles, on spéculât théoriquement sur les thèmes susdits ; ce serait assez indifférent. Mais si, ayant mis en oubli les lois naturelles, on laisse ces spéculations influencer la pratique, ce sera le désordre et l’anarchie ; et si on en vient à les honorer, à leur donner force de loi, hélas ! pauvre monde ! ce sera la frénésie en plein. — Voyez où en est venu le gouvernement de nos jours. À n’être plus qu’une succession ininterrompue de rits. À peine cette cérémonie est-elle terminée, que déjà il faut garder l’abstinence pour préparer la suivante, puis repasser par toute la série des courbettes, des chants et des danses, et ainsi de suite, sans trêve et sans fin. Tout autrement ferait un vrai Sage, si, bien malgré lui, il avait dû se charger du soin de l’empire. Se tenant dans le