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H.  Confucius dit à Lao-tan : J’ai donné mes soins aux Odes, aux Annales, aux Rites et à la Musique, aux Mutations, à la Chronique. Je me suis appliqué longtemps à l’étude de ces six traités, et me les suis rendus familiers. J’ai parlé devant soixante-douze princes déréglés, leur exposant les principes des anciens souverains, des ducs de Tcheou et de Chao, pour leur amendement. Aucun d’eux n’a profité de mes discours. C’est difficile de persuader pareilles gens ! — Quel bonheur ! dit Lao-tzeu, qu’aucun d’eux ne vous ait écouté ! S’ils l’avaient fait, ils seraient devenus pires. Vos six traités, ce sont des vieilleries, récits de faits qui sont arrivés dans des circonstances qui ne sont plus, de gestes qui seraient déplacés dans les circonstances actuelles. Que déduire de l’empreinte d’un pied, sinon qu’elle a été faite par un pied ? Qui ? pourquoi ? comment ? et autres circonstances, l’empreinte est muette sur tout cela. Il en est de même des empreintes laissées par les faits dans l’histoire ; elles ne nous apprennent pas la réalité telle qu’elle fut, vivante et vraie. — Chaque temps a sa nature, comme chaque être a la sienne ; nature à laquelle rien ne peut être changé. Les hérons se fécondent en se regardant, certains insectes en bourdonnant, d’autres sont hermaphrodites, d’autres font autrement. Il n’y a qu’à les laisser faire, chaque espèce d’après sa nature. La nature ne se modifie pas, le destin ne se change pas, le temps ne peut être arrêté, l’évolution ne peut être obstruée. Laissez tout aller son cours naturel, et vous n’aurez que des succès : allez à l’encontre, et vous n’aurez que des insuccès. — Confucius se confina chez lui durant trois mois, pour méditer cette leçon. Au bout de ce temps, il alla trouver Lao-tzeu. J’y suis maintenant, lui dit-il. Les corbeaux et les pies couvent, les poissons imprègnent leur frai, le sphex naît par transformation d’une araignée ; les hommes ont des enfants successifs, la naissance de chaque cadet faisant pleurer l’aîné. Voilà longtemps que moi K’iou je me tenais à l’écart de l’évolution naturelle, ou tentais même de la faire revenir en arrière. C’est pour cela que je n’ai pas réussi à faire évoluer l’humanité. — Bien ! dit Lao-tzeu. Maintenant, K’iou, tu as trouvé la clef.


Chap. 15. Sagesse et encroûtement.

A.   Avoir des idées incrustées dans son cerveau, et une haute opinion de ses mœurs singulières ; rompre avec le monde et faire bande à part ; parler haut et critiquer les autres ; en un mot, se conduire en pédants ; voilà comme font ceux qui vivent en anachorètes sur les monts et dans les vallées, contempteurs des voies communes, lesquels finissent par mourir de faim, ou noyés dans quelque torrent. — Discourir sur la bonté et l’équité, la loyauté et la fidélité ; pratiquer le respect d’autrui, la simplicité, la modestie ; en un mot, se contraindre en tout ; voilà comme font ceux qui prétendent pacifier le monde et morigéner les hommes, maîtres d’école ambulants ou sédentaires. —