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des graines du melia, il ne boit qu’aux sources les plus pures. Cependant un jour qu’il passait dans les airs, une chouette qui dévorait dans un champ un mulot crevé eut peur qu’il ne lui disputât sa charogne, et poussa un cri pour l’intimider. Le ministre de Leang en a fait autant à mon égard.


G.   Tchoang-tzeu et Hoei-tzeu prenaient leur récréation sur la passerelle d’un ruisseau. Tchoang-tzeu dit : voyez comme les poissons sautent ! c’est là le plaisir des poissons. — Vous n’êtes pas un poisson, dit Hoei-tzeu ; comment savez-vous ce qui est le plaisir des poissons ? — Vous n’êtes pas moi, dit Tchoang-tzeu ; comment savez-vous que je ne sais pas ce qui est le plaisir des poissons ? — Je ne suis pas vous, dit Hoei-tzeu, et par suite je ne sais pas tout ce que vous savez ou ne savez pas, je l’accorde ; mais, en tout cas, je sais que vous n’êtes pas un poisson, et il demeure établi, par conséquent, que vous ne savez pas ce qui est le plaisir des poissons. — Vous êtes pris, dit Tchoang-tzeu. Revenons à votre première question. Vous m’avez demandé « comment savez vous ce qui est le plaisir des poissons ? ». .. Par cette phrase, vous avez admis que je le savais ; car vous ne m’auriez pas demandé le comment de ce que vous saviez que je ne savais pas. Et maintenant, comment l’ai-je su ? Par voie d’observation directe, sur la passerelle du ruisseau. Voie inconnue aux sophistes d’alors, ergoteurs qui n’observaient pas.


Chap. 18. Joie parfaite.

A.   Sous le ciel y a-t-il, oui ou non, un état de contentement parfait ? Y a-t-il, oui ou non, un moyen de faire durer la vie du corps ? Pour arriver à cela, que faire, que ne pas faire ? De quoi faut-il user, de quoi faut-il s’abstenir ? — Le vulgaire cherche son contentement dans les richesses, les dignités, la longévité et l’estime d’autrui ; dans le repos, la bonne chère, les bons vêtements, la beauté, la musique, et le reste. Il redoute la pauvreté, l’obscurité, l’abréviation de la vie et la mésestime d’autrui ; la privation de repos, de bons aliments, de bons vêtements, de beaux spectacles et de beaux sons. S’il n’obtient pas ces choses, il s’attriste et s’afflige. ... N’est il pas insensé de rapporter ainsi tout au corps ? Certains de ces objets sont même extérieurs et étrangers au corps ; comme les richesses accumulées au delà de l’usage possible, les dignités et l’estime d’autrui. Et pourtant, pour ces choses, le vulgaire épuise ses forces, et se torture jour et nuit. Vraiment les soucis naissent avec l’homme, et le suivent durant toute sa vie ; jusque dans l’hébétement de la vieillesse, la peur de la mort ne le quitte pas. Seuls les officiers militaires ne craignent pas la mort, et sont estimés du vulgaire pour cela ; à tort ou à raison, je ne sais ; car, si leur bravoure les prive de la vie, elle préserve la vie de leurs concitoyens ; il y a du pour et du contre. Les officiers civils qui