Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/780

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votre peuple par vos exactions, pour le plaisir de vos sens qui ruine votre corps ? Votre esprit naturellement conforme à la tendance du ciel et de la terre ne peut pas approuver cela, et souffre donc une violence qui le ruine. C’est sur la double ruine, de votre corps et de votre esprit que je vous offre mes condoléances. — Frappé de ce discours, le marquis Ou dit : Il y a longtemps que je désirais votre visite. Je voudrais pratiquer la bonté envers mon peuple. Je voudrais pratiquer l’équité envers mes voisins. Que dois-je faire pour cela ? — Su-oukoei dit : Cessez vos constructions de forts, vos manœuvres et vos exercices, qui appauvrissent votre peuple et inquiètent vos voisins. Cessez d’acheter des plans de conquête, des devis de stratagèmes. Toute guerre épuise le peuple, l’ennemi, et celui qui la fait, par les anxiétés qu’elle lui cause. A l’instar du ciel et de la terre, soyez bienveillant pour tous, et ne nuisez à personne. Tout le monde s’en trouvera bien, votre peuple, vos voisins, et vous-même.


C.   Hoang-ti allant visiter Ta-wei sur le mont Kiu-ts’eu, Fang-ming conduisait le char, Tch’ang-u faisait contrepoids, Tchang-jao et Si-p’eng marchaient devant, K’ounn-hounn et Hoa-ki suivaient derrière. Dans la plaine de Siang-Tch’eng, les sept Sages perdirent leur chemin. Ayant rencontré un garçon qui paissait des chevaux, ils lui demandèrent s’il savait où était le mont Kiu-ts’eu et où résidait Ta-wei. — Je le sais, dit le garçon. — Se peut-il, dit Hoang-ti, que, sans avoir appris, ce garçon sache où est le mont Kiu-ts’eu et connaisse Ta-wei ? Ne serait-ce pas un être transcendant ?.. Et Hoang-ti de lui demander comment faire pour bien gouverner l’empire. — Comme je fais pour gouverner mes chevaux, repartit le garçon ; j’estime que ce n’est pas plus difficile. ... Jadis je ne me promenais que au dedans des limites de l’espace, et la multitude des êtres particuliers qu’il me fallait regarder faillit user mes yeux. Alors un ancien me donna le conseil de monter dans le char du soleil, et de me promener dans la plaine de Siang-Tch’eng (de m’élever au dessus du monde des individus, de tout voir d’aussi haut que le soleil). J’ai suivi son conseil, et mes yeux ont guéri. Je ne me promène plus qu’en dehors des limites de l’espace réel, dans les universaux, dans l’abstraction. C’est de ce point de vue, qu’il me semble que l’empire peut être gouverné comme je gouverne mes chevaux. — Hoang-ti ayant insisté pour qu’il s’expliquât davantage, le garçon mystérieux lui dit : J’écarte de mes chevaux ce qui pourrait leur nuire ; pour tout le reste, je les laisse faire. Je pense que, dans le gouvernement des hommes, un empereur devrait se borner à cela. — Émerveillé, Hoang-ti se prosterna, toucha la terre de son front, appela le garçon Maître céleste, puis continua son chemin.


D.   C’est dans l’abstraction qu’il faut chercher le Principe. C’est de l’infini qu’il faut regarder les êtres particuliers. Or la plupart des hommes font tout le contraire. — Les philosophes se perdent dans leurs spéculations, les sophistes dans leurs distinctions, les chercheurs dans leurs investigations. Tous ces hommes sont captifs dans les limites de l’espace, aveuglés par les êtres particuliers. — Item, ceux qui font leur cour aux princes pour obtenir des charges, ceux qui briguent la faveur du peuple, ceux qui s’efforcent d’obtenir des prix. Item, les ascètes qui se macèrent pour devenir célèbres ; les légistes, les cérémoniaires, les musiciens, qui se poussent dans leur partie ; enfin ceux qui font métier d’exercer la bonté et l’équité