Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/818

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Principe différent du commun, (entretenant leur vie, que le vulgaire use par ambition). — Alors Chounn offrit l’empire à Chan-kuan, qui le refusa en ces termes : Habitant de l’univers et soumis à ses révolutions, en hiver je m’habille de peaux et en été de gaze ; au printemps je cultive sans trop me fatiguer, et en automne je récolte ce qui m’est nécessaire ; j’agis le jour, et me repose la nuit. Je vis ainsi, sans attache, entre ciel et terre, satisfait et content. Pourquoi m’embarrasserais-je de l’empire ? C’est me connaître bien mal que de me l’avoir offert. ... Cela dit, pour couper court à de nouvelles instances, il partit et se retira dans les profondeurs des montagnes. Personne ne sut où il se fixa. — Alors Chounn offrit l’empire à l’ancien compagnon de sa vie privée, le métayer Cheu-hou, qui le refusa en ces termes : Si vous, qui êtes fort et habile, n’en venez pas à bout, combien moins moi, qui ne vous vaux pas. ... Cela dit, pour éviter d’être contraint, il s’embarqua sur mer avec sa femme et ses enfants, et ne reparut jamais. — T’ai-wang Tan-fou, l’ancêtre des Tcheou, étant établi à Pinn, était sans cesse attaqué par les Ti nomades. Quelque tribut qu’il leur payât, pelleteries et soieries, chiens et chevaux, perles et jade, ils n’étaient jamais satisfaits, car ils convoitaient ses terres. Tan-fou se dit : Mes sujets sont mes frères, mes enfants ; je ne veux pas être la cause de leur perte. Ayant donc convoqué ses gens, il leur dit : Soumettez vous aux Ti, et ils vous traiteront bien. Pourquoi tiendriez-vous à moi ? Je ne veux pas davantage vivre à vos dépens, avec péril pour votre vie. ... Cela dit, il prit son bâton et partit. Tout son peuple le suivit, et s’établit avec lui au pied du mont K’i[1]. Voilà un bel exemple du respect que le Sage a pour la vie d’autrui. — Celui qui comprend quel respect on doit avoir pour la vie n’expose la sienne, ni par amour de la richesse, ni par horreur de la pauvreté. Il ne l’expose pas pour s’avancer. Il reste dans sa condition, dans son sort. Tandis que le vulgaire s’expose à la légère pour un insignifiant petit profit. — Trois fois de suite, les gens de Ue assassinèrent leur roi. Pour n’avoir pas le même sort, le prince Seou s’enfuit et se cacha dans la grotte Tan-hue. Se trouvant sans roi, les gens de Ue se mirent à sa recherche, découvrirent sa retraite, l’enfumèrent pour l’obliger à sortir, le hissèrent sur le char royal, tandis que le prince criait au ciel. ... s’il fallait un prince à ces gens là, pourquoi faut-il que ce soit moi ? !. Ce n’est pas la dignité de roi que le prince Seou craignait, mais les malheurs auxquels elle expose. Le trône d’une principauté ne valait pas à ses yeux le péril de sa vie. Cela étant, les gens de Ue eurent raison de tenir à l’avoir pour roi.


B.   Les deux principautés Han et Wei se disputaient un lopin de terre mitoyen. Tzeu-hoa-tzeu étant allé visiter le marquis Tchao-hi de Han et l’ayant trouvé très préoccupé de cette affaire lui dit : Supposé qu’il existât un arrêt inexorable ainsi conçu. ... quiconque mettra la main à l’empire, obtiendra l’empire, mais perdra la main, gauche ou droite, qu’il y aura mise. ... en ce cas, mettriez-vous la main à l’empire ? — Nenni ! dit le marquis. — Parfait ! dit Tzeu-hoa-tzeu. Ainsi vous préférez vos deux mains à l’empire. Or

  1. En l'an 1325 avant J. C.