Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/246

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voyons une lime mordante ronger sa vertu, et, en aucun point, il ne nous a été donné d’adoucir par quelque secours ou quelque consolation l’impitoyable douleur qui la déchirait. Ah ! tu n’as pas eu notre sang et notre vie, ô chère patrie, et je ne suis pas mort pour ta cruelle fortune. Ici la colère et la pitié abondent dans mon cœur ; un grand nombre de nous ont combattu, sont tombés ; mais ce n’était pas pour la moribonde Italie ; c’était pour ses tyrans.

Père, si tu ne t’indignes pas, tu es changé de ce que tu fus sur terre. Ils mouraient sur les tristes plages de la Ruthénie, dignes, hélas ! d’un autre sort, les braves Italiens ; et l’air, le ciel, les hommes et les bêtes leur faisaient une guerre immense. Ils tombaient légion par légion, à demi-vêtus, maigres et sanglants, et la neige était le lit de leurs corps malades. Alors quand ils traînaient leurs souffrances suprêmes, se souvenant de cette mère désirée, ils disaient : Oh ! ce n’est point par les nuées et par le vent que nous aurions dû périr, mais par le fer et pour ton bien, ô notre patrie ! Voici qu’éloignés de toi, quand nous sourit notre plus bel âge, ignorés du monde entier, nous mourons pour cette nation qui te tue.

Leur plainte fut entendue par le désert boréal et les forêts sifflantes. C’est ainsi qu’ils arrivèrent au trépas, et leurs cadavres, laissés à découvert sur cette mer horrible de neige, furent