Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/205

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Le physicien.

Oh ! pour cela, non ! car la vie est un bien par elle-même, et chacun la désire et l’aime naturellement.

Le métaphysicien.

Ainsi le croient les hommes, mais ils se trompent, comme le vulgaire se trompe en croyant que les couleurs sont des qualités des objets, quand elles sont des qualités de la lumière. Je dis que l’homme ne désire et n’aime que sa propre félicité. Par conséquent il n’aime pas la vie, si ce n’est en tant qu’il la tient pour un instrument ou une matière de félicité. Ainsi, il en vient à aimer la félicité et non la vie, bien que très souvent il attribue à l’une l’amour qu’il porte à l’autre. Il est vrai que cette erreur et celle des couleurs sont toutes deux naturelles. Mais, comme preuve que l’amour de la vie n’est pas naturel chez les hommes ou plutôt n’est pas nécessaire, on voit qu’un très grand nombre d’hommes, aux temps anciens, choisirent de mourir quand ils pouvaient vivre ; de notre temps même, beaucoup désirent la mort en diverses circonstances et quelques-uns se tuent eux-mêmes, ce qui ne pourrait arriver si l’amour de la vie était par lui-même la nature de l’homme. Mais, comme la nature de chaque vivant est l’amour de sa propre félicité, le monde s’écroulerait avant que quelqu’un d’entre eux cessât de l’aimer et de la rechercher.