Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/75

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ordonnent le service des glaces et des boissons, parmi les tasses heurtées et les cuillères brandies, la lumière quotidienne des gazettes a brillé toute vive à mes yeux. Je reconnus et je vis la joie publique et la douceur de la destinée mortelle. Je vis le haut état et la valeur des choses terrestres, la carrière humaine toute fleurie, et comme ici-bas il n’est rien qui déplaise, rien qui dure. Je ne connus pas moins les efforts les œuvres étonnantes, l’intelligence, les vertus et le profond savoir de mon siècle, et je vis, du Maroc au Catay, de l’Ourse au Nil et de Boston à Goa, les royaumes, les empires et les duchés courir à l’envi et hors d’haleine sur les traces de la douce félicité, et la saisir déjà par sa chevelure flottante et par l’extrémité de son boa. Voyant ces choses et méditant profondément devant ces vastes feuilles, j’eus honte de ma lourde et vieille erreur et de moi-même.

C’est un siècle d’or que nous filent désormais, ô Gino, les fuseaux des Parques. Tous les journaux, quelle que soit leur langue ou leur format, sur tous les rivages, le promettent au monde à l’unanimité. L’amour universel, les voies ferrées, la multiplication du commerce, la vapeur, l’imprimerie et le choléra rapprochent étroitement les peuples et les climats les plus éloignés ; et il n’y aura rien d’étonnant si le pin et le chêne suent du lait et du miel, ou encore s’ils dansent au son