Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/89

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il avoue sa situation, il en parle ouvertement et il l’estime conformément à la réalité. Pour moi, je ne trouve pas magnanime, mais sot, l’animal qui, né pour mourir, nourri dans la peine, dit : « Je suis fait pour jouir », et qui emplit les journaux de son orgueil odieux, promettant sur terre des destinées sublimes et des félicités nouvelles, ignorées de ce monde et même du ciel, à ces peuples qu’une vague de la mer qui se soulève, qu’un souffle pernicieux, qu’un ébranlement souterrain détruisent si bien que leur souvenir survit à peine. C’est une noble nature, celle qui ose lever ses yeux mortels contre le destin commun, et qui, d’un langage franc, sans rien retrancher de la vérité, avoue le mal qui nous fut donné en partage, et la bassesse, la fragilité de notre condition ; celle qui se montre grande et forte dans la souffrance, qui n’ajoute pas à ses misères les haines et les colères fraternelles, en accusant l’homme de sa douleur, mais qui en accuse la vraie coupable, celle qui est la mère des mortels pour l’enfantement, leur marâtre pour l’affection. Voilà l’ennemie qu’elle proclame ; elle pense que contre elle fut jadis liguée la société humaine, elle estime que les hommes forment tous une confédération, elle les embrasse tous d’un véritable amour, elle leur donne et elle attend d’eux une aide prompte et forte dans les périls mutuels et les angoisses de la guerre commune. Armer la main de l’homme