Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/316

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du ruisseau ne le reconnaîtraient pas pour un des leurs. Ils ne lui permettraient pas de frayer dans leur bande. Un « paillasson », tout au plus pour employer un des termes de leur langage, et non pas un vrai « marle » . Comme Lantier, le personnage sympathique Goujet, est incomplet et exceptionnel. C’est le seul honnête homme du livre. Un parfait imbécile, ah ! le sentencieux raseur et quel insupportable prêcheur. Zola avait un faible pour ce type, inventé par lui, de l’ouvrier prudhommesque et sentimental, pourvu de toutes les qualités du cœur, orné de tous les dons de l’esprit. On le retrouve dans plusieurs de ses romans. Ce Goujet, amoureux platonique et délicat de la chaude et ouverte Gervaise, et qui demeure toujours sur le seuil, hésitant et godiche, est introuvable dans les faubourgs. Pour avoir son modèle, il faudrait se reporter à l’époque où George Sand, cohabitant avec Pierre Leroux et s’imprégnant de son socialisme poétique, faisait s’adorer à distance les vicomtesses et les compagnons menuisiers, qui, entre autres singularités, avaient celle de n’avoir jamais donné de coups de varlope dans leur tablier d’innocence. Zola, en ses années d’apprentissage littéraire, avait beaucoup trop lu George Sand, et il lui en était resté une propension à supposer, comme l’auteur du Meunier d’Angibault et du Compagnon du Tour de France, qu’il existait, dans la classe ouvrière, à côté de crapuleux fainéants et de grossiers ivrognes, des êtres sensibles, sentimentaux, fidèles amoureux jamais récompensés, de chevaleresques Amadis de l’usine ou du chantier, avec cela tout bourrés de belles phrases sur l’honneur, la vertu, le travail, qu’ils débitaient à leur belle, ahurie, nullement pâmée, dont les lèvres, à la fin, s’entr’ouvraient, non pour un baiser ni pour un soupir de désir et d’abandon, mais