Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/325

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s’arrête comme frappée. Une langueur invincible l’envahit, succédant à des ardeurs passagères. Les chairs s’amollissent. La peau prend des tons de cire. Un sang pâle, déchargé de fer, fait battre à peine ses artères. Voilà pour le physique. Le moral n’est pas moins atteint. Impressionnable à l’excès, Jeanne est restée deux jours frissonnante, au retour d’une visite de charité à un vieillard paralytique. Quand un orgue vient à jouer dans le silence des rues voisines, elle tremble et des pleurs mouillent ses yeux. Une nuit, à la clarté bleuâtre et calme d’une veilleuse, tandis que tout dort dans le paisible quartier de Passy, Hélène Grandjean, la mère, s’éveille à un cri sourd de l’enfant : Jeanne, raide, les muscles contractés, les yeux grands ouverts, dans une fixité sinistre, se tord sur son petit lit. Folle, navrée, hors d’elle-même, demi-nue, la mère crie au secours, et comme le secours ne vient pas, elle court le chercher. Elle descend, en pantoufles, dans la rue que couvre une neige légère tombée le soir, sonne à une porte voisine et trouve un médecin, le docteur Deberle, qu’elle entraîne en veston, sans cravate, sans lui permettre de se vêtir davantage. C’est l’amour, c’est l’amant, qu’elle ramène ainsi à la maison. Au chevet de l’enfant, le médecin et la mère se voient, sans se regarder, et se reconnaissent sans s’être jamais rencontrés. Il y a des attractions d’âmes. Ils ne se parlent pas. Ils ne quittent pas l’enfant des yeux. Cependant, ils se devinent, et, si leurs regards s’évitent, leurs cœurs se cherchent. Cette première et définitive entrevue s’accomplit dans une chaste pénombre. A la fin seulement, le docteur se décide à contempler Hélène, et il admire cette Junon chataîne, dont le profil blanc a la pureté grave des statues. Son châle a glissé, et une partie de sa gorge