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VERLAINE EMPLOYÉ

à gagner leur pain en se servant de la plume, dans un bureau. Il était impossible d’admettre dans une administration quelconque le jeune rhétoricien, dont l’écriture tourmentée était bonne tout au plus à donner de la copie aux imprimeurs, grands déchiffreurs d’hiéroglyphes.

Après avoir subi cette orthopédie scripturale, et instruit dans l’art profond d’écrire une lettre d’affaires, Verlaine fut enfin installé devant des rangées de cartons verts, dans les bureaux de la Compagnie l’Aigle et le Soleil. Cet emploi bureaucratique eut une influence plus considérable qu’on ne le supposerait sur l’existence de Paul. La destinée des hommes est semblable à une pente sur laquelle dévale le ruisseau des jours : un caillou, une dépression, un brin d’herbe peuvent faire ricocher et dévier la vie qui coule.

Verlaine alors était forcément sobre. Nous devisions ensemble, plus généralement le long des quais, en furetant dans les cases aux bouquins poussiéreux, dans les musées ou dans les églises, pour les tableaux, et sans préoccupation cultuelle, qu’au sein des cafés. Nous recherchions les endroits gratis, nos parents nous laissant, par prudence et par économie, la bourse légère.

À la fin du premier mois passé à la Compagnie, Verlaine encaissa des appointements. Ce fut comme une initiation. Il avait été convenu qu’il remettrait la moitié de sa paie à ses parents, et qu’il garderait l’autre pour ses menues dépenses, parties de plaisir, achat de livres, emplette de divers objets de toilette et d’habillement. En remontant, ce bienheureux soir de Sainte-Touche, attendu, escompté mentalement, la pente des Batignolles, on fit une ou deux stations dans les cafés rencontrés. Cela nous parut agréable. On se promit de recommencer, et des haltes en route on prit l’habitude. J’allais