Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/208

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devait postuler aucune action sur son siècle. Ce qu’il dit, ce qu’il pense, ce qu’il veut, doit échapper aux contingences qui agitent, modifient ou passionnent la société au milieu de laquelle il vit ; il doit sembler tomber de la lune, ou s’échapper d’un asile réservé au génie.

Il y eut d’ailleurs à cette époque, et nous avons vu assez près de nous, avec les Décadents, les Symbolistes et les Naturistes, recommencer cette évolution, un double mouvement d’éloignement. Les poètes prirent un chemin, la foule un autre. Dédain de part et d’autre. On se tournait le dos, on affectait, non pas seulement de se séparer, de s’éviter, mais de s’ignorer. Aussi la foule est-elle demeurée de plus en plus étrangère au mouvement de la poésie, et, pour les poètes, il ne semble point y avoir place, intérêt ou utilité dans la société moderne. Tout au plus les admet-on sous la forme dramatique, ou encore leur pardonne-t-on de fournir, dans les matinées littéraires, des intermèdes écoutés distraitement, et toujours moins goûtés que les monologues en prose, moins applaudis que les chansonnettes. Les versificateurs ironistes, chatnoiresques, parodistes, ont seuls pu trouver un public dans quelques journaux et dans les cabarets dits artistiques. Encore la mode semble-t-elle s’éloigner de ces acrobates de la rime, dont quelques-uns furent prestigieux.

Leconte de Lisle, qui avait assisté à cette rupture, et qui avait même contribué à la faire naître et à l’agrandir, souffrait pourtant intérieurement de l’isolement subi, de l’indifférence qu’il constatait. Bien qu’entouré d’hommages discrets, salué respectueusement par l’élite littéraire, et bientôt investi des suprêmes honneurs attribués aux littérateurs reconnus, patentés, officiels, décoration et académie, il regrettait, au fond de l’âme, cette popularité qu’il n’avait point sollicitée, certes, mais qu’il eût voulu