Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/225

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comme une denrée. Il allait s’abreuver de caresses, comme d’absinthe, au premier comptoir rencontré au coin de rue. Il a raconté, d’ailleurs, lui-même, avec son cynisme ingénu, comment les prémices de sa jeunesse furent sacrifiées, dans une maison close, aujourd’hui démolie, de la rue d’Orléans-Saint-Honoré.

Il n’avait donc jamais aimé, et ses poésies premières durent sans doute à ce défaut de passion, de désirs, de combats, et de souffrances aussi, une idéalité, une impassibilité, que peu de poètes eurent avant lui, et qu’il devait, avec le mariage, bientôt perdre.

Il est très rare, en effet, qu’un poète arrive jusqu’à vingt-cinq ans sans avoir été amoureux, sans avoir chanté ses espoirs, ses rêves, ses sensations, ses jalousies, ses triomphes, les trahisons subies et les soupçons pires.

Tout homme est ou a été poète à cet égard, et chacun de nous garde, en un coin parfumé de sa mémoire, l’image confuse et toujours secrètement admirée de quelque Béatrix disparue, effacée, presque irréelle, n’ayant existé que quelques instants, très souvent ne s’étant jamais doutée de la passion tenace et factice qu’en passant elle avait inspirée. Nous avons tous plus ou moins vécu le sonnet d’Arvers.

Verlaine ne connut pas ces extases, ces désirs, ces joies et ces douleurs des premières amours, si souvent vivaces et malheureuses. Il ignora, à l’heure printanière, les revanches et les représailles du cœur qui succèdent au découragement, à ce moment d’anéantissement terrible quand la femme aimée échappe, et qu’on croit que le monde entier va s’écrouler sur ses assises, parce qu’un corsage se ferme et qu’une jupe s’abaisse. Il ne passa point par ces alternatives de félicités et de tristesses qui sont toutes les réalités de l’amour, le spasme sensuel n’étant