Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/378

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ne t’y écris pas, tu devines pourquoi. Ma mère t’enverra ou te remettra ce mot.

Je te quitte en te serrant la main bien cordialement. Courage aussi, toi, et meilleure chance.

Suivent quelques vers faits ici récemment.

P. V.


Transféré à Mons, il écrivait d’une écriture toute modifiée, penchante, descendante, signes graphologiques certains de l’accablement et de la dépression.


Mons, 22 novembre 73.
Cher ami.

Ceci est avant tout une prière, une instante prière. Écris-moi de temps en temps. Veux-tu convenir que ce sera tous les quinze ou tous les vingt jours ? Ce n’est pas trop, j’espère. Tu me donnerais des nouvelles des camarades, du mouvement parisien, et, sans effleurer la politique, bien entendu, quelques larges renseignements sur les gros événements. Voilà quatre mois et demi que je n’ai lu un journal. J’ai su par ma mère la dernière décision de nos maîtres à la présidence septennale. Quant à ce qui se passe en littérature, néant.

J’ai des livres d’anglais que je pioche, je viens de lire Fabiola, sans dictionnaire. Mon occupation jusqu’à présent est de trier du café. Ça tue un peu le temps. Je sors une heure par jour, pendant laquelle je peux fumer. Tout le reste du temps c’est l’emprisonnement cellulaire dans toute la stricte acception du mot. Je suis à la pistole, avec un bon lit et de bonne nourriture. Toujours faible la santé. Et le courage qui m’avait soutenu tous les derniers temps, à Bruxelles, fait mine de m’abandonner, maintenant que j’en ai plus besoin que jamais.

Il faut espérer que ce n’est qu’un moment à subir. J’espère une remise de peine. On est très bon pour moi, et je suis aussi bien que possible. Mais ma pauvre tête est si vide, si retentissante, encore, pour ainsi dire, de tous les chagrins et les malheurs de ces derniers temps, que je n’ai pu encore acquérir cette espèce de somnolence qui me semble être l’ultimum solatium du prisonnier.

Aussi, ai-je besoin qu’on se souvienne un peu de moi, de l’autre côté du mur. C’est pourquoi j’insisterai de toutes mes