Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/427

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madré paysan, l’avait mis au collège, désireux d’en faire un monsieur, un employé, un fonctionnaire peut-être. Les renseignements précis manquent sur ce paysan-écolier. Verlaine a été sobre de détails à son égard, dans ses autobiographies et confessions en prose ; en revanche, il l’a célébré, poétisé, idéalisé, magnifié, dans ses vers. Ne pouvant, comme l’empereur Hadrien, élever un mausolée de pierre à cet Antinoüs ardennais, il a construit, dans Amour, un monument lyrique qui paraît indestructible. Ce campagnard a conquis la grande illustration, et le voilà compagnon d’immortalité de Bathylle et de Corydon.

Il a tracé de ce jeune homme un portrait, sans doute flatté, mais d’une touche gracieuse. L’écho lointain des odes d’Anacréon et des églogues virgiliennes murmure dans ces vers délicats, où il dépeint son jeune ami, patinant « merveilleusement » sur la glace :


Fin comme une grande jeune fille,
Brillant, vif et fort, telle une aiguille,
La souplesse, l’élan d’une anguille.
Des jeux d’optique prestigieux,
Un tourment délicieux des yeux,
Un éclair qui serait gracieux.
Parfois il restait comme invisible,
Vitesse en route vers une cible
Si lointaine, elle-même invisible…


Après cette description, qui fait hypotypose, et en même temps qui semble noter le bruissement du svelte patineur sur le miroir congelé, il nous montre son camarade dans le majestueux et calme décor des champs, parmi le sain labeur rustique :


… J’y voyais ton profil fluet sur l’horizon
Marcher comme à pas vifs derrière la charrue,