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PAUL VERLAINE

ment, je n’y suis pas par trop maladroit : hier encore, je suis revenu du bois avec un énorme lapin que j’avais foudroyé, mais là, dans le chic, comme dirait Gavroche.

Quant à ce que je compte faire, après mes vacances, ce n’est pas que je sois bien fixé là-dessus. Mes parents opinent pour le droit, et je crois qu’en définitive ils ont raison : il se peut donc que je prenne mes inscriptions. Pourtant, je te le répète, rien n’est encore décidé.

Et toi, mon cher Lepelletier, que fais-tu ? Es-tu toujours à la campagne ? En ce cas, dis-moi, dans ta prochaine, si tu pêches, si tu chasses ou si tu montes à cheval, et raconte-moi tout au long tes exploits dans ces divers exercices. Ou bien, serais-tu rentré à Paris ? Oh ! alors, fais-moi vite une chronique. Je suis affamné de nouvelles, j’ai soif de littérature, je suis Tantale : ne me retire pas les fruits et l’eau de la bouche, écris-moi au plus tôt, annonce-moi les publications nouvelles, fais-moi part de tous les bruits de la ville, dis-m’en le plus que tu pourras, le plus sera le mieux.

Et puis, parle-moi aussi un peu de toi. Ton bachot, le prépares-tu ? Quel jour t’inscris-tu ? Que comptes-tu faire après ta réception ? As-tu fini de lire les Misérables ? Quel est ton avis sur cette splendide épopée ? Je m’en suis arrêté, pour mon compte, au second tome de l’Idylle rue Plumet (exclusivement), de sorte que je n’en puis porter de jugement définitif. Jusqu’à présent, mon impression est favorable : c’est grand, beau, c’est bon, surtout. La charité chrétienne luit dans ce drame ombreux. Les défauts mêmes, et il y en a, et d’énormes ont un air de grandeur qui attire. Ce livre chenu, comparé à Notre-Dame de Paris le chef-d’œuvre sans contredit de Victor Hugo, me fait l’effet d’un vieillard, mais d’un beau vieillard, cheveux et barbe blancs, haut de taille et sonore de voix, comme le Job des Burgraves, à côté d’un jeune homme aux traits élégants, aux manières fières et nobles, moustache en croc, rapière dressée, prêt à la lutte. Le jeune homme plaît davantage, il est plus brillant, plus joli, plus beau même ; mais le vieillard, tout ridé qu’il est, est plus majestueux, et sa gravité a quelque chose de saint, que n’a pas la sémillance du jeune homme.

« Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard, on voit de la lumière. »