Page:Leprohon - Antoinette de Mirecourt ou Mariage secret et chagrins cachés, 1881.djvu/11

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avait voué à la littérature on aurait pu trouver, en effet, l’explication de la placidité de caractère et de la douceur d’habitudes qui caractérisaient le gentilhomme français, dans des circonstances de nature à mettre souvent à l’épreuve la patience de moins philosophes que lui. Quand, après la capitulation de Montréal, ses parents et ses amis lui avaient conseillé de les suivre, de s’en retourner avec eux dans la vieille France, ou, tout au moins, de fuir la ville et d’aller chercher la solitude dans son riche manoir seigneurial, il avait jeté un coup-d’œil plein de tristesse autour de sa bibliothèque, soupiré péniblement et secoué la tête d’un air qui dénotait une formelle détermination. En vain, quelques-uns d’entr’eux, plus violents que les autres, lui avaient-ils demandé avec énergie comment il pourrait patiemment supporter l’arrogance des fiers conquérants qui venaient de débarquer sur les rivages de leur pays ? en vain lui avaient-ils demandé comment il ferait pour souffrir, partout où il tournerait ses yeux, partout où il porterait ses pas, l’uniforme écarlate des soldats qui, au nom du roi Georges, gouvernaient maintenant sa patrie ?… À toutes ces représentations, à toutes ces remontrances où l’indignation s’était fait jour, il avait répondu tristement, mais avec calme, qu’il n’en verrait pas beaucoup de ces héros, attendu qu’il avait pris l’inébranlable résolution de s’enfermer pour toujours dans sa chère bibliothèque et de ne mettre les pieds dehors que le plus rarement possible.