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leur réjouissance turbulente fût vue d’un mauvais œil ; ils demandèrent donc des pipes, de l’eau chaude, du sucre et du rum, et ils le forcèrent gaiement à la table où ils le firent asseoir entre eux. Les verres furent promptement emplis de nouveau, car les nouveaux arrivés étaient de bons vivants, et ils insistèrent pour qu’Armand en fît autant. Lespérance lui prépara lui-même son verre qu’il fit plus fort et plus sucré.

— À présent, disait à Armand une voix intérieure, laisse-les ; tu en as pris assez, retournes avec ta femme !

Mais il ne put supporter l’idée d’être exposé encore une fois cette nuit à son impitoyable langue ; aussi prit-il la résolution de rester là où il se trouvait, mais de ne prendre que le seul verre que Lespérance le forçait si énergiquement et avec tant de persistance à accepter. Cependant, lorsqu’il l’eut bu, un singulier sentiment de gaieté s’empara de tout son être, et il sentit qu’il avait à la portée de sa main un calmant qui pouvait lui faire oublier, du moins pendant quelques heures, ses chagrins et ses désespoirs. Pourquoi n’en profiterait-il pas ? Oui, à l’avenir, il en tirerait tout l’avantage possible, et cela d’une manière absolue et sans réserve. Dorénavant rien ne le retiendrait, ni le stigmate qui s’attache à la réputation d’un ivrogne, ni le déshonneur, la pauvreté et la ruine qui accompagnent la victime de l’intempérance. De quel prix la vie était-elle pour lui, pour qu’il prît tant de soin et de souci à la con-