Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
LE MANOIR DE VILLERAI

mont, qui jurait de se tuer ou de se noyer de désespoir quand je le refusai l’été dernier ; et je pourrais en nommer une douzaine d’autres.

— Oui, mais il ne l’a pas fait, mon enfant. Il vit encore, aussi joyeux et aussi content qu’auparavant. Ah ! Pauline, sois certaine que la fortune dont tu dois hériter un jour, augmente considérablement le nombre et le dévouement de tes admirateurs.

— Vraiment, tante Rochon ? fit-elle un peu piquée ; vous êtes bien franche ce matin. Pensez-vous qu’une brillante jeunesse, des regards fascinateurs et des manières distinguées ne comptent pour rien auprès des hommes ?

— Oui, mon enfant, tout cela a une certaine influence, mais l’argent et la fortune en ont souvent beaucoup plus, particulièrement dans la classe de ces oisifs soupirants, pardonne-moi le mot, qui t’entourent.

— Pourquoi donc, s’il vous plaît, mon oncle Rochon vous a-t-il épousée, alors ? Vous n’étiez pas riche.

— Certainement non, ma chère ; et je n’avais pas, non plus, des regards fascinateurs, ni des manières distinguées ; aussi je laisse à ta propre ingénuité le soin de résoudre ce problème. Prenons à présent un autre sujet plus intéressant.

— Eh bien ! réellement, ma tante, c’est quelque chose de difficile, car il y a si peu de sujets qui nous soient communs à toutes deux. Vous ne vous occupez que d’aller à l’église, faire la charité et toutes espèces de choses pieuses en général ; mes goûts sont tout à fait différents, et je ne pense qu’au plaisir, à la mode, à la gaieté. Ce qui m’intéresse ne peut nullement vous toucher, vous, ma tante.

— Et cependant, Pauline, reprit gravement la vieille dame, nous avons toutes les deux été mises sur la terre dans le même but ; nous tendons vers la même fin. Nous avons toutes deux la mort et l’éternité devant nous.

— Oh ! Seigneur, ma tante ; si vous commencez à me faire une telle morale, je vais être littéralement obligée de m’enfuir ; et la frivole enfant plaça sur ses oreilles ses jolis doigts couverts de riches anneaux. Savez-vous bien que je me sens toujours nerveuse et triste, après un de vos sermons.

— Pourtant tu ne détruis pas souvent la sérénité de ton âme en venant les écouter, dit madame de Rochon en sou-