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LE MANOIR DE VILLERAI

— Le vicomte de Noraye ? demanda madame de Rochon avec un sourire particulier.

— Justement, ma chère tante, dit la jeune fille en arrangeant nonchalamment son bracelet. Le même qui a su régner pendant quelque temps sur mon cœur inconstant. Son règne a duré six semaines et trois jours. Quoique mon amour soit presque éteint, je n’ai pas entièrement fini avec lui. Il occupe le premier rang parmi mes adorateurs.

— Il n’a donc pas répondu suffisamment à ta préférence, pour changer ton amour en haine ?

— Non ; il n’a jamais placé encore son nom et sa fortune à mes pieds, quoiqu’il dise souvent que son cœur y soit. S’il en venait maintenant à ce point, ce qu’il fera probablement bientôt, il est inutile pour moi de dire quelle réponse je ferais. Ce n’est pas une chose à dédaigner que d’être comtesse, pas une comtesse avec un mince revenu de quelques mille francs, à peine suffisant pour payer mes gants et mes rubans, mais comtesse, maîtresse de terres, de forêts et de châteaux. Pour en revenir cependant à ce que je disais tantôt, vous ne pouvez vous imaginer quels commentaires et quelle mordante critique de Noraye fait de mademoiselle de Villerai ; et il m’a assuré (c’est vrai qu’il est bien méchant, mais qu’importe), il m’a affirmé qu’ils ne s’aiment nullement, apportant pour raison la singulière manière dont leur mariage est remis d’époque en époque, malgré tous les efforts et toutes les représentations de la tante de la fiancée, la vieille madame Dumont.

— Ce n’est tout cela que scandale et jalousie, Pauline. Ils sont deux assez jeunes pour attendre encore quelque temps ; mais, Rose, vous pouvez aller dans la bibliothèque et vous amuser là pendant une heure.

Celle-ci obéit promptement, et comme la porte se refermait sur elle, madame de Rochon s’écria d’un ton de reproche :

— Il faut réellement que je te défende, Pauline, de parler dorénavant d’une manière aussi insensée et aussi frivole devant cette jeune fille. Cela peut lui faire du tort.

— Eh ! du tout, ma tante. Dans sa position, il n’y a, comme de raison, rien de semblable. Quoi ! je suis certaine qu’elle n’a pas même compris ce que je disais, tant notre