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LE MANOIR DE VILLERAI

çait de pousser la barrière. Maintenant vous êtes ma prisonnière, et je vais vous garder jusqu’à ce que vous deveniez plus obéissante.

Peu accoutumée à des marques aussi extraordinaires de galanterie, Rose, après un violent effort pour dégager sa main prisonnière, fondit en larmes, quand de Montarville, comme doit le faire un véritable héros, arriva à temps à son secours.

— Vous m’obligeriez, vicomte de Noraye en laissant passer cette jeune fille, dit-il avec raideur et un peu d’irritation.

— Et pourquoi le ferais-je, mon cher monsieur, avant que je ne m’y sente disposé ? répondit l’autre du ton le plus calme et le plus narguant.

— Simplement parce que mademoiselle de Villerai n’oubliera pas facilement toute insulte faite à une jeune fille qu’elle aime et qu’elle protège d’une manière particulière.

Cédant à la seule menace qui pouvait avoir de l’influence sur lui, car de Noraye, quoique vain et frivole, était brave comme un lion, il adressa à Rose quelques paroles d’excuse et se retira aussitôt en arrière pour la laisser passer. Elle le fit promptement, mais non sans que le regard pénétrant de de Montarville pût contempler de nouveau sa merveilleuse beauté, encore rehaussée par l’agitation qui couvrait sa joue d’une vive couleur.

— Assurément, cette belle créature à la tournure féerique n’est pas une simple paysanne, demanda le jeune vicomte, en suivant avec la plus grande admiration son profil qui disparaissait peu à peu dans le lointain.

— Quoi, est-il possible que vous puissiez l’admirer, vicomte ? répondit de Montarville en riant. Mais c’est une paysanne canadienne, et…

— Oh ! mon cher, c’est une houri, un ange, une déesse ! répondit le jeune Français avec enthousiasme. Elle me rappelle ces gracieuses Andalouses que nous voyons quelquefois représentées sur le théâtre à Paris.

— En toute amitié, je vous dirai, vicomte, répondit froidement de Montarville, que nos jeunes paysannes canadiennes diffèrent un peu des femmes que vous avez