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LE MANOIR DE VILLERAI

nos parents défunts, qui souhaitaient si vivement notre union, devraient être sacrés pour nous ?

— Oui, jusqu’à un certain point. Si, à l’expiration d’une période assez longue pour nous permettre de nous connaître l’un l’autre parfaitement, nous trouvons qu’un amour mutuel nous anime, nous réaliserons alors les désirs sacrés dont vous parlez ; mais si c’est le contraire, nous serons réellement et définitivement libres.

— Et, Blanche, quelle sera la longueur de ce temps d’épreuve ? demanda-t-il en s’efforçant vainement de cacher la peine et le désappointement que trahissaient tout à la fois sa physionomie et sa voix.

— Cela dépendra des circonstances, reprit-elle avec un sourire indéfinissable. Peut-être jusqu’à la fin de la guerre.

— Peut-être mademoiselle de Villerai compte-t-elle sur la chance que j’ai de me faire tuer dans la prochaine campagne : cela déciderait d’une manière prompte et péremptoire la malheureuse question de notre union.

Blanche sourit :

— Si j’avais fait le moindre calcul, Gustave, répondit-elle, ce que je nie complètement, ç’aurait plutôt été sur les chances que vous avez d’un prompt avancement ; de devenir, par exemple, major ou colonel de votre brave régiment.

— C’est vrai, mademoiselle, reprit-il avec une froide gravité. Je ne dois pas oublier combien un pauvre lieutenant comme moi a peu de droits à la main de la seigneuresse de Villerai. Et avec une vivacité qu’on remarquait quelquefois dans son caractère, il salua sa fiancée et sortit de la chambre.

Un instant après, il marchait rapidement sur un chemin glacé et couvert de neige, en se disant :

— Eh bien ! peu importe ce qui arrivera maintenant, le blâme en retombera sur elle. Je voulais sincèrement presser notre mariage, tandis que je puis encore répondre de mon cœur et de mes affections ; elle a refusé, obstinément refusé ; à présent, arrive qui peut, ce sera sa faute.

Il aurait pensé bien autrement et avec beaucoup moins de précipitation s’il avait pu voir Blanche, dans la chambre où il venait de la quitter, la tête tristement appuyée sur la main.