Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LE MANOIR DE VILLERAI

fit comprendre à Rose qu’il n’y avait là ni tromperie, ni moquerie ; et alors, baissant son regard, pendant qu’une vive rougeur colorait sa figure auparavant blanche comme le marbre, elle reprit :

— Ah ! vous ne devriez pas me parler ainsi. N’êtes-vous pas le fiancé de la bonne et noble demoiselle de Villerai ?

— Oh ! ne me parlez pas d’elle, Rose ! reprit-il avec force. Je ne l’ai pas recherchée, je ne l’ai pas choisie pour être ma femme. Nous avons été fiancés l’un à l’autre à notre insu pendant notre enfance ; faut-il qu’un caprice de nos parents soit la cause de notre malheur pendant tout le cours de notre vie ?

— Mais vous ne pourriez faire à une vertueuse et noble dame l’affront de l’abandonner pour une misérable paysanne comme moi, reprit-elle à voix basse.

— Elle ne s’occupe pas de moi, Rose, elle a remis indéfiniment notre mariage, lorsque mon cœur était assez libre pour me permettre de l’épouser.

— Mais elle ne vous a jamais refusé, M. de Montarville, et jusqu’à ce qu’elle le fasse, votre engagement mutuel est aussi sacré que peut le rendre la parole d’un gentilhomme.

— Oh ! vous me rendez fou, Rose, avec vos raisonnements froids et cruels ! Vous ne savez pas combien je vous aime, combien je vous estime. Depuis le premier moment où mon regard s’est fixé sur vous au manoir, vous avez rempli mon cœur. J’ai combattu énormément, avec l’énergie du désespoir, pour bannir votre pensée du lieu que vous aviez gagné, sans aucun effort, sans aucun désir de votre part ; mais en vain, Rose, c’est la destinée qui le veut ! Il faut que vous soyez à moi, et vous serez à moi ! Je sais que vous m’aimez, vous aussi. Autrement vos lèvres ne trembleraient pas ainsi, votre teint ne serait pas aussi mobile. Répondez-moi, n’est-ce pas vrai ?

— Oui, je vous aime vraiment trop, noble et généreux M. de Montarville, reprit doucement la jeune fille, pour vous permettre de vous précipiter ainsi dans une démarche qui ferait votre malheur. Ah ! l’ivresse d’un moment de bonheur serait amèrement expiée par toute une vie de regrets !

— Mais, Rose, si vous n’avez pas pitié de moi, ayez au