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L’ONCLE BARBE-BLEUE

premier soir. On nous avait préparé un souper, oh ! un souper, je ne te dis que ça, mais personne n’était en état d’y faire honneur, et nous soupirions toutes après nos lits. Nous sommes logées princièrement dans une des ailes du château, avec Mlle Favières pour nous garder. Nous avons chacune notre chambre, à l’enfilade ; et, le soir, nous laissons notre porte ouverte, Charlotte et moi, pour bavarder de loin, avant de nous endormir. Le premier jour, je te prie de croire que nous n’avons pas perdu trop de temps ; mais après, nous nous sommes rattrapées. Elle est gentille, Charlotte, elle me suit comme mon ombre, à ce point que sa sœur en est jalouse. Ma foi, tant pis, Élisabeth n’a qu’à être plus complaisante pour Charlotte si elle veut être sa préférée !…

» Le château est immense. Il y a tout un autre corps de logis où l’Oncle a ses appartements particuliers, et où on nous a défendu d’aller. Entre ce bâtiment et le nôtre, il y a des salons sans fin : petit salon, grand salon, salon de réception, salle de billard, etc. Rien que ça de luxe ! C’est drôle que nous ne puissions pas aller voir l’Oncle chez lui. À quoi travaille-t-il donc qu’il a si peur d’être dérangé ?

» Je ne comprends pas très bien non plus pourquoi il nous a fait venir : tantôt nous ne le voyons pas de la journée, tantôt il ne nous quitte pas. Je te le dirai tout bas, petit père chéri, j’ai un peu, un tout petit peu peur de lui. Il me fait l’effet de Barbe-Bleue quand il s’enferme comme cela tout seul. Hier soir, j’ai presque donné une attaque de nerfs à Charlotte en lui disant que si nous allions dans la tourelle qui s’élève vis-à-vis la nôtre, du côté où il nous est interdit de jeter les yeux, nous y découvririons peut-être, comme jadis chez Barbe-Bleue, des secrets épouvantables. Que