Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/270

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tinée et je me suis laissé entraîner par l’appât des passions viles et ingrates. Du milieu de leurs flammes, je suis sorti pur et froid comme le fer et j’ai perdu pour toujours l’ardeur des nobles enthousiasmes, la fleur par excellence de la vie. Et depuis ce jour, que de fois, dans les mains du destin, ai-je rempli le rôle de la hache ! Comme le glaive de l’État, j’ai abattu des têtes sacrifiées, souvent sans méchanceté, toujours sans pitié ! mon amour n’a jamais rien sacrifié pour ceux que j’aimais. J’ai aimé pour moi-même, pour mon plaisir personnel. Je n’ai satisfait que les étranges besoins de mon cœur avec cette fureur qui engloutit le sentiment et la tendresse, la joie et la douleur. Et je n’ai pu me rassasier. J’étais comme un homme mourant de faim, que son affaiblissement assoupit, et qui voit alors devant lui des mets somptueux et des vins généreux ; il dévore avec fureur les présents insaisissables de son imagination et il lui semble qu’il est soulagé. Mais à son réveil, le rêve s’évanouit ; la faim est là qui redouble et derrière elle, le désespoir !…

Et peut-être demain je mourrai !… Et il n’y a pas en ce monde un seul être qui m’aura