Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/285

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de manière que si je ne recevais qu’une blessure légère je pusse ne pas tomber en arrière.

Groutchnitski se plaça devant moi et au signal donné commença à lever son pistolet. Ses jambes tremblaient, il me visa droit au front.

Une fureur inexprimable s’alluma alors dans mon sein.

Soudain il abaissa le canon de son pistolet et, pâle comme un linge, se tourna vers ses seconds.

— Je ne puis ! dit-il d’une voix étouffée.

— Poltron ! lui répondit le capitaine.

Le coup partit ; la balle m’égratigna le genou ; je fis involontairement quelques pas en avant afin de m’éloigner plus vite du bord.

— Allons ! mon cher Groutchnitski ! Je regrette que tu aies manqué ton coup ; dit le capitaine, c’est à ton tour de te placer ! Embrasse-moi ; nous ne nous reverrons plus.

Ils s’embrassèrent, le capitaine avait toutes les peines du monde à s’empêcher de rire.

— Ne crains rien, ajouta-t-il en regardant avec finesse Groutchnitski ; tout est absurde en ce monde ; la nature est stupide, le destin un dindon et la vie ne vaut pas un copek !…

Après ces phrases à effet, dites avec un