Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/289

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Souviens-toi que nous étions bons amis…

Son visage s’enflamma, ses yeux brillèrent :

— Tirez ! répondit-il ; je me méprise et vous déteste. Si vous ne me tuez pas, je vous tuerai la nuit, dans quelque coin. Il n’y a plus place pour nous deux sur la terre…

Je tirai…

Lorsque la fumée se fut dissipée, Groutchnitski n’était plus sur la plate-forme. Une légère colonne de poussière tourbillonnait au bord de l’abîme.

Tous poussèrent un grand cri à la fois.

E finita la comedia, dis-je au docteur.

Il ne me répondit point et se retourna avec effroi. Je haussai les épaules et saluai les seconds de Groutchnitski. En arrivant au bas du sentier, j’aperçus entre les pointes de rochers le cadavre sanglant de mon adversaire. Malgré moi je fermai les yeux.

Je détachai mon cheval et repris au pas le chemin de ma demeure. J’avais sur le cœur comme un rocher. Le soleil me semblait pâle et ses rayons ne me réchauffaient pas. Avant d’arriver au village, je tournai à droite et suivis le défilé. La vue d’un homme m’aurait été pénible ;