Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/294

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» N’est-ce pas vrai, que tu n’aimes pas Marie ? Tu ne l’épouseras pas ? Écoute ! Tu dois me faire ce sacrifice. Moi j’ai bien tout perdu pour toi dans ce monde… »

J’étais comme un fou ; je m’élançai sur le perron, sautai sur mon cheval circassien que l’on promenait encore dans la cour et me précipitai à toute haleine sur la route de Piatigorsk. Je poussai sans pitié mon cheval fatigué qui soufflait et, tout couvert d’écume, m’emporta au milieu du chemin pierreux.

Le soleil s’était déjà caché dans les nuages noirs étendus sur les crêtes des montagnes au couchant. Dans les ravins, il faisait déjà sombre et humide. Le Podkumok bondissait sur les cailloux, et mugissait d’une manière sourde et monotone. Je galopais, suffoqué par l’impatience. La pensée que je ne la trouverais pas à Piatigorsk, m’avait frappé au cœur comme un coup de marteau ! Un moment, un seul moment la voir encore, lui dire adieu, lui presser la main… Je priais, je maudissais, je pleurais, je riais… Non ! rien ne pourrait exprimer mon inquiétude et mon désespoir !… Devant la possibilité de la perdre pour toujours, Viéra m’était devenue