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BALAOO

est le premier des quadrumanes, celui qui se rapproche le plus de l’homme, je suis allé jusqu’à découvrir quarante sons bien distincts !

M. Herment de Meyrentin. — Mais enfin ce n’est pas avec quarante sons qu’un anthropopithèque pourra prononcer toutes les syllabes humaines !…

Coriolis. — Je n’ai pourtant pu en faire un homme qu’à cette condition-là ![1].

M. de Meyrentin. — Comment avez-vous fait ?

Coriolis. — Je lui ai donné les autres sons, tout simplement :

Ouvre ta bouche, Balaoo ! (Balaoo, qui est prêt à mourir de honte, n’a point le temps de protester. Coriolis, qui lui tenait tout à l’heure ses mains de souliers, lui tient maintenant, sans antisepsie intermédiaire, la mâchoire, et en fait jouer les deux parties sur leurs apophyses

  1. Rien, dit M. Hæckel, n’a dû ennoblir et transformer les facultés du cerveau de l’homme, autant que l’acquisition du langage. La différenciation plus complète du cerveau, son perfectionnement et celui de ses plus nobles fonctions, c’est-à-dire des facultés intellectuelles, marchèrent de pair, et en s’influençant réciproquement, avec leur manifestation parlée. C’est donc à bon droit que les représentants les plus distingués de la philologie comparée considèrent le langage humain comme le pas le plus décisif qu’ait fait l’homme pour se séparer de ses « ancêtres ». C’est un point que Chleicher a mis en relief dans son travail sur l’importance du langage dans l’histoire de l’homme. Là se trouve le trait d’union de la zoologie et de la philologie comparée : la doctrine de l’évolution met chacune de ces sciences en état de suivre pas à pas l’origine du langage… il n’y avait point encore chez « l’homme-singe » de vrai langage articulé exprimant des idées.
    Ainsi que Chleicher l’enseigne, il faut admettre qu’un certain nombre seulement de ces êtres, encore dépourvus de la faculté du langage articulé, mais bien près de l’acquérir, la gagnèrent en réalité sous l’influence de « conditions heureuses », et dès lors eurent réellement le droit à la dénomination d’« hommes », mais que, par contre, un certain nombre d’entre eux, moins favorisés par les circonstances, échouèrent dans leur développement et tombèrent dans la « métamorphose régressive ». Nous aurions à reconnaître leurs restes dans les anthropomorphes, gorilles, chimpanzés, orangs, gibbons.