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BALAOO

Balaoo lui ordonna aussitôt d’aller déposer sa proie dehors, sur le paillasson. Balaoo avait reconnu une poule de Mme Boche, et lui fit reproche de ses instincts carnassiers. As déposa la poule précieusement dans un coin à sa portée ; il avait le museau tout sanglant et tout emplumé, et il l’allongea sur ses pattes en philosophe qui prétend vivre à sa guise et qui peut écouter sans se fâcher les observations des autres, ayant le ventre plein et ses provisions faites pour le lendemain. Il laissa parler le vertueux Balaoo, qui vantait les douceurs pacifiques du régime végétarien ; et, au moment où l’autre s’y attendait le moins, il lui décocha un argument qui assomma quasiment l’anthropopithèque : « Tu te vantes d’être un homme, dit As, et tu ne manges même pas de poules ! »

Balaoo ne dit plus rien pendant des instants qui lui parurent interminables. Est-ce qu’il ne lui viendrait pas une bonne réponse à la cervelle ? Ce n’était vraiment pas la peine d’avoir fait des études, d’avoir appris à lire les mots d’hommes sur les cubes de bois et à les écrire d’abord avec un pinceau, et puis avec une plume trempée dans l’encre noire, pour s’en laisser « boucher un coin », de la sorte, par un simple As. Enfin, il se redressa sur son séant, l’œil brillant, toussa et déclara : « Je ne ferais pas de mal à une mouche pour manger ! Moi aussi, je tue ; mais je tue parce qu’on m’embête, mais jamais pour manger, je trouve ça dégoûtant, et je ne te l’envoie pas dire.

— Alors, dit As, tu n’aimes pas ceux qui tuent pour manger. Pourquoi, alors, aimes-tu les Trois Frères qui tuent pour manger ?

Balaoo répliqua :

— Je les ai vus tuer l’huissier, et ils n’ont pas mangé l’huissier.