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BALAOO

d’intervenir : « Ah ! bien, c’est pas fini ! pensa Balaoo, en constatant le dommage, nous voilà propres ! »

En effet, ils furent entourés en un instant, pendant que la dame ameutait contre eux tout le quartier en poussant des cris déchirants.

Tous les consommateurs s’étaient levés comme un seul homme et les traitaient de sauvages, de bêtes féroces. Les demoiselles d’étudiants leur cassaient sur le dos leurs ombrelles et leurs parapluies. Un monsieur tendait sa carte à Gabriel.

Balaoo n’avait pas lâché la main de Gabriel qui tremblait et claquait des dents. Gabriel était surtout effrayé par les yeux du monsieur qui lui tendait sa carte.

— Ah ! les sales rastas ![1] criait-on.

— Réponds pas ! conseillait Balaoo qui semblait avoir l’expérience de ces sortes d’émeute, pour avoir sans doute, bien malgré lui, au cours de ses escapades nocturnes, déchaîné plus d’une fois les colères populaires. Réponds pas ! et recule ! (Balaoo, pas à pas, reculait, entraînant Gabriel). Recule sans rien dire et surtout ne les touche pas !

Mais la foule suivait leur mouvement. Et le monsieur à la carte ne les lâchait pas d’une semelle, mettant avec obstination son carré de bristol sous le nez de Gabriel. Gabriel ne put s’empêcher de souffler sur la carte qui le chatouillait (de souffler avec son nez), et cela fit du joli. Le monsieur hurla que ce misérable assassin, ce lâche qui ne voulait pas se battre, lui avait craché dans la figure. Un monôme d’étudiants, qui descendait de la rue Champollion, vint ajouter au vacarme et à la confusion. Balaoo

  1. Rastas, rastaquouères, exotiques peu recommandables dans le langage d’homme du quartier Latin.