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BALAOO

forestière du Grand Hêtre de Pierrefeu, il est resté immobile, les bras et les jambes pendants et la tête sur la poitrine, sans remuer, comme un anthropopithèque en bois.

Et il est resté comme ça, tant que les grelots du cheval de la voiture ont grelotté sur son cœur desséché comme une peau de tambour, car il n’y a plus rien dans son cœur, rien ; elle a tout emporté. Du moins, ça lui produit cet effet-là, une sensation de creux ; oui, il a là comme une caisse vide et que rien ne remplira jamais plus !… rien que le souvenir, Balaoo !…

Et tu verras, Balaoo, que le souvenir, ça remplit tout de même le cœur, à en étouffer…

On n’entend plus rien au loin sous la feuillée. Balaoo rentre chez lui et il s’étend sur le lit de feuilles sèches qui a gardé la forme de son corps… et, chose incroyable, Balaoo a encore des larmes.

Les dernières écoulées, il restera sur le lit de feuilles sèches, pendant deux jours et deux nuits, étendu sans mouvement comme un anthropopithèque en bois. D’anciens camarades de la forêt seront montés jusque chez lui et auront regardé par la porte entr’ouverte, sans seulement qu’il se soit dérangé d’une ligne. Le vieil As, qui maintenant a une patte cassée, a regardé cela et est reparti sans rien dire, en haussant les épaules.

Balaoo ne connaît plus ces gens-là.

Au bout du second jour, quand Coriolis est revenu, il a trouvé Balaoo assis, au coin de sa porte, l’épaule au soleil et lisant mélancoliquement Paul et Virginie…

Coriolis a dit à sa fille qu’il allait se retirer définitivement à Saint-Martin-des-Bois ; mais, dans sa pensée, il a menti, c’est au Grand Hêtre de Pierrefeu qu’il voudrait se retirer… loin de la société qui ne peut que le maudire,