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revêtu pour la première fois la robe du juge, je vais vous dire ce que vous êtes devenu… un homme qui ne s’appartient plus, une pensée qui ne doit exister que pour le triomphe d’une institution sacrée, un cœur qui ne connaît, ni la faiblesse, ni le remords, dès qu’il s’agit de la paix de la société…

Jean, l’interrompant. — Oui !… je sais, l’ancêtre m’a déjà dit ces choses.

Le Grand Réquisiteur. — L’ancêtre, pour sauver l’État, a fait tomber trois têtes… On ne vous en demande pas tant !… et vous êtes son héritier ?…

Jean. — Jamais !… Je refuse !…

Le Grand Réquisiteur. — Vous refusez l’héritage ! Vous n’en avez pas le droit, fils de la maison des juges !

Jean. — Il n’y a plus de maison des juges… Je parlerai.

Le Grand Réquisiteur. — Non ! Vous songerez à la société ! à l’État ! N’est-ce pas vous-même qui me disiez, hier encore, tout ce que l’État doit à Pétrus Lamarque et le lien formidable qui les attache l’un à l’autre.

Jean. — La raison d’État ne saurait me faire mentir !

Le Grand Réquisiteur. — On ne vous demande que de vous taire !

Jean. — Le silence serait un mensonge

Le Grand Réquisiteur. — Il y a des mensonges sacrés !

Jean. — L’ancêtre est mort ! Les mensonges sacrés sont morts !

Le Grand Réquisiteur, furieux, entre ses dents. — L’insensé !

Le Réquisiteur général, qui s’est promené fiévreusement de long en large pendant les dernières répliques, s’approchant de Jean. — Voyons ; mon cher Jean. Il n’est pas possible, dans l’intérêt même de Tiphaine que nous voulons sauver, que vous n’entendiez pas raison. Il ne s’agit pas ici de léser un droit, ce que nous ne permettrions pas. Il n’est question que d’éviter l’esclandre qui retomberait encore plus sur vous que sur la société qui, après tout, est au-dessus des coups que vous rêvez de lui porter. M. le grand réquisiteur a raison quand il dit que ce sont vos amis qui vous empêcheront de commettre cette folie !… En somme,