Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/71

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plus intelligents d’entre eux aux plus rudes travaux manuels… Au fond des forêts du Canada, j’ai travaillé de mes mains comme le plus vulgaire des trappeurs… et je reviens aujourd’hui en Europe pour placer ma marchandise…

— Qu’est-ce que vous faites donc ? demanda M. Lalouette qui était remué de la plus douce émotion de sa vie, car la parole de celui que l’on avait appelé l’Homme de lumière était des plus captivantes et coulait comme un miel dans les artères battantes de ceux qui avaient le bonheur de l’entendre.

— Oui, qu’est-ce que vous faites donc, mon cher Monsieur ? implora Mme Gaspard qui roulait des yeux blancs.

L’Homme de lumière dit simplement sans fausse honte :

— Je suis marchand de peaux de lapins !

— Marchand de peaux de lapins ! s’exclama M. Lalouette.

— Marchand de peaux de lapins ! soupira Mme Lalouette.

— Marchand de peaux de lapins ! répéta l’Homme de lumière en s’inclinant posément et prêt à prendre congé.



Je vais lui dire que je n’ai assassiné personne


Mais M. Lalouette le retint.

— Où allez-vous donc comme ça ? Cher monsieur Eliphas ? demanda-t-il. Vous n’allez pas nous quitter ainsi ! Vous nous permettrez bien de vous offrir un petit quelque chose ?…

— Merci, Monsieur, je ne prends jamais rien entre les repas, répondit Eliphas.

— Cependant, nous n’allons point nous quitter comme cela, reprit Mme Lalouette.

Et elle roucoula :

— Après tout ce qui s’est passé, nous avons bien des choses à nous dire…

— Je ne suis point curieux, répondit bonnement Eliphas. J’en sais assez pour ce que j’ai à faire ici… Aussitôt que j’aurai vu M. le secrétaire perpétuel, je prendrai le train de Leipzig où je suis attendu pour mon commerce de fourrure.

Mme Lalouette alla à la porte et en défendit bravement le passage.

— Pardon, Monsieur Eliphas, dit-elle, la voix tremblante, mais qu’est-ce que vous allez lui dire, à M. le secrétaire perpétuel ?…

— C’est vrai ! s’écria Lalouette qui avait compris la nouvelle émotion de sa femme, qu’est-ce que vous allez lui dire, à M. Hippolyte Patard ?

— Mon Dieu ! Je vais lui dire que je n’ai assassiné personne ! déclara l’Homme de lumière.

M. Lalouette pâlit :

— C’est pas la peine, jura-t-il… Il ne l’a jamais cru ! Et c’est une démarche bien inutile, je vous assure !

— Mon devoir, en tout cas, est de le rassurer comme je vous ai rassuré vous-mêmes… et aussi de dissiper une fois pour toutes les soupçons stupides qui pèsent sur ma personne…

M. Gaspard Lalouette, la figure tout à fait décomposée, regarda Mme Lalouette.

— Ah ! fifille ! gémit-il… c’était un trop beau rêve !… Et il se laissa aller dans ses bras et, sans fausse honte, pleura sur son épaule.

Eliphas interrogea Mme Lalouette.

— M. Lalouette, dit-il, paraît avoir un grand chagrin… et je ne comprends rien à ce qu’il veut dire…

— Cela veut dire, pleura à son tour Mme Lalouette, que si l’on apprend avec certitude que vous êtes à Paris, que vous revenez du Canada et que vous n’êtes pour rien dans toute l’affaire des morts de l’Académie, jamais M. Lalouette ne sera académicien !

— Et pourquoi cela ?

— Eh ! On ne lui accorde ce fauteuil, sanglota-t-elle, c’est terrible à dire, que parce que personne n’en veut !… Attendez donc, mon cher monsieur Eliphas, pour faire connaître la vérité vraie, qu’est votre innocence dont pas un homme sensé ne doute, vous entendez bien ! Attendez donc que mon mari soit élu !…

— Madame ! fit Eliphas… calmez-vous ! L’Académie ne sera pas assez injuste pour repousser votre mari qui, seul, est venu bravement à elle, dans les mauvais jours…

— Je vous dis qu’elle n’en voudra pas

— Mais si !

— Mais non !…

— Mais si !…

— Gaspard !… J’ai confiance dans M. Eliphas. Dis donc à M. Eliphas pourquoi l’Académie ne voudra jamais de toi, si elle a le moyen d’en élire un autre… C’est un secret, Monsieur Eliphas ! un affreux secret qu’il a fallu confier à M. le secrétaire perpétuel… Mais cela restera à jamais entre nous !… Allons ! parle, Gaspard !

M. Gaspard Lalouette s’arracha au giron de Mme Lalouette et se penchant à l’oreille de M. Eliphas tandis que de la main il