Page:Leroux - Le fantôme de l'Opéra, édition 1926.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE FANTÔME DE L’OPÉRA

« À cause ?

— À cause que ce soir-là je l’ai passé dans la salle à surveiller la loge no 5 et la fausse enveloppe que vous y aviez déposée. Je ne suis pas descendu au foyer de la danse une seconde…

— Aussi, monsieur le directeur, ce n’est point ce soir-là que je vous ai remis l’enveloppe !… Mais à la représentation suivante… Tenez, c’était le soir où M. le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts… »

À ces mots, M. Richard arrête brusquement Mme Giry…

« Eh ! c’est vrai, dit-il, songeur, je me rappelle… je me rappelle maintenant ! M. le sous-secrétaire d’État est venu dans les coulisses. Il m’a fait demander. Je suis descendu un instant au foyer de la danse. J’étais sur les marches du foyer… M. le sous-secrétaire d’État et son chef de cabinet étaient dans le foyer même… Tout à coup je me suis retourné… C’était vous qui passiez derrière moi… madame Giry… Il me semblait que vous m’aviez frôlé… Il n’y avait que vous derrière moi… Oh ! je vous vois encore… je vous vois encore !

— Eh bien, oui, c’est ça, monsieur le directeur ! c’est bien ça ! Je venais de terminer ma petite affaire dans votre poche ! Cette poche-là, monsieur le directeur, est bien commode ! »

Et Mme Giry joint une fois de plus le geste à la parole. Elle passe derrière M. Richard et si prestement, que Moncharmin lui-même, qui regarde de ses deux yeux, cette fois, en reste impressionné, elle dépose l’enveloppe dans la poche de l’une des basques de l’habit de M. le directeur.

« Évidemment ! s’exclame Richard, un peu pâle… C’est très fort de la part de F. de l’O. Le problème, pour lui, se posait ainsi : supprimer tout intermédiaire dangereux entre celui qui donne les vingt mille francs et celui qui les prend ! Il ne pouvait mieux trouver que de venir me les prendre dans ma poche sans que je m’en aperçoive, puisque je ne savais même pas qu’ils s’y trouvaient… C’est admirable ?

— Oh ! admirable ! sans doute, surenchérit Moncharmin… seulement, tu oublies, Richard, que j’ai donné dix mille francs sur ces vingt mille et qu’on n’a rien mis dans ma poche, à moi ! »


V

suite de la curieuse attitude d’une épingle de nourrice


La dernière phrase de Moncharmin exprimait d’une façon trop évidente le soupçon dans lequel il tenait désormais son collaborateur pour qu’il n’en résultât point sur-le-champ une explication orageuse, au bout de laquelle il fut entendu que Richard allait se plier à toutes les volontés de Moncharmin, dans le but de l’aider à découvrir le misérable qui se jouait d’eux.

Ainsi arrivons-nous à « l’entr’acte du jardin » pendant lequel M. le secrétaire Rémy, à qui rien n’échappe, a si curieusement observé l’étrange conduite de ses directeurs, et dès lors rien ne nous sera plus facile que de trouver une raison à des attitudes aussi exceptionnellement baroques et surtout si peu conformes à l’idée que l’on doit se faire de la dignité directoriale.

La conduite de Richard et Moncharmin était toute tracée par la révélation qui venait de leur être faite : 1o  Richard devait répéter exactement, ce soir-là, les gestes qu’il avait accomplis lors de la disparition des premiers vingt mille francs ; 2o  Moncharmin ne devait pas perdre de vue une seconde la poche de derrière de Richard dans laquelle Mme Giry aurait glissé les seconds vingt mille.

À la place exacte où il s’était trouvé lorsqu’il saluait M. le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, vint se placer M. Richard avec, à quelques pas de là, dans son dos, M. Moncharmin.

Mme Giry passe, frôle M. Richard, se débarrasse des vingt mille dans la poche de la basque de son directeur et disparaît…

Ou plutôt on la fait disparaître. Exécutant l’ordre que Moncharmin lui a donné quelques instants auparavant, avant la reconstitution de la scène, Mercier va enfermer la brave dame dans le bureau de l’administration. Ainsi, il