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LE MYSTÈRE DES TRAPPES

qui ne voulez pas que j’en parle. Et qui donc êtes-vous ?

— Vous le savez bien !… Je suis le Persan ! » fit l’ombre.


VII

le vicomte et le persan


Raoul se rappela alors que son frère, un soir de spectacle, lui avait montré ce vague personnage dont on ignorait tout, une fois qu’on avait dit de lui qu’il était un Persan, et qu’il habitait un vieux petit appartement dans la rue de Rivoli.

L’homme au teint d’ébène, aux yeux de jade, au bonnet d’astrakan, se pencha sur Raoul.

« J’espère, monsieur de Chagny, que vous n’avez point trahi le secret d’Erik ?

— Et pourquoi donc aurais-je hésité à trahir ce monstre, monsieur ? repartit Raoul avec hauteur, en essayant de se délivrer de l’importun. Est-il donc votre ami ?

— J’espère que vous n’avez rien dit d’Erik, monsieur, parce que le secret d’Erik est celui de Christine Daaé ! Et que parler de l’un, c’est parler de l’autre !

— Oh ! monsieur ! fit Raoul de plus en plus impatient, vous paraissez au courant de bien des choses qui m’intéressent, et cependant je n’ai pas le temps de vous entendre !

— Encore une fois, monsieur de Chagny, où allez-vous si vite ?

— Ne le devinez-vous pas ? Au secours de Christine Daaé…

— Alors, monsieur, restez ici !… car Christine Daaé est ici !…

— Avec Erik ?

— Avec Erik !

— Comment le savez-vous ?

— J’étais à la représentation, et il n’y a qu’un Erik au monde pour machiner un pareil enlèvement !… Oh ! fit-il avec un profond soupir, j’ai reconnu la main du monstre !…

— Vous le connaissez donc ? »

Le Persan ne répondit pas, mais Raoul entendit un nouveau soupir.

« Monsieur ! dit Raoul, j’ignore quelles sont vos intentions… mais pouvez-vous quelque chose pour moi ?… je veux dire pour Christine Daaé ?

— Je le crois, monsieur de Chagny, et voilà pourquoi je vous ai abordé.

— Que pouvez-vous ?

— Essayer de vous conduire auprès d’elle… et auprès de lui !

— Monsieur ! c’est une entreprise que j’ai déjà vainement tentée ce soir… mais si vous me rendez un service pareil, ma vie vous appartient !… Monsieur, encore un mot : le commissaire de police vient de m’apprendre que Christine Daaé avait été enlevée par mon frère, le comte Philippe…

— Oh ! monsieur de Chagny, moi je n’en crois rien…

— Cela n’est pas possible, n’est-ce pas ?

— Je ne sais pas si cela est possible, mais il y a façon d’enlever et M. le comte Philippe, que je sache, n’a jamais travaillé dans la féerie.

— Vos arguments sont frappants, monsieur, et je ne suis qu’un fou !… Oh ! monsieur ! courons ! courons ! Je m’en remets entièrement à vous !… Comment ne vous croirais-je pas quand nul autre que vous ne me croit ? Quand vous êtes le seul à ne pas sourire quand on prononce le nom d’Erik ! »

Disant cela, le jeune homme, dont les mains brûlaient de fièvre, avait, dans un geste spontané, pris les mains du Persan. Elles étaient glacées.

« Silence ! fit le Persan en s’arrêtant et en écoutant les bruits lointains du théâtre et les moindres craquements qui se produisaient dans les murs et dans les couloirs voisins. Ne prononçons plus ce mot-là ici. Disons : Il ; nous aurons moins de chances d’attirer son attention…

— Vous le croyez donc bien près de nous ?

— Tout est possible, monsieur… s’il n’est pas, en ce moment, avec sa victime, dans la demeure du Lac.