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LE MYSTÈRE DES TRAPPES

Il n’y avait plus qu’une issue possible, celle qui ouvrait sur la chambre Louis-Philippe, et dans laquelle se trouvaient Erik et Christine Daaé. Mais si cette issue était à l’état ordinaire de porte du côté de Christine, elle était absolument invisible pour nous… Il fallait donc tenter de l’ouvrir sans même savoir où elle prenait sa place, ce qui n’était point une besogne ordinaire.

Quand je fus bien sûr qu’il n’y avait plus aucun espoir pour nous, du côté de Christine Daaé, quand j’eus entendu le monstre entraîner ou plutôt traîner la malheureuse jeune fille hors de la chambre Louis-Philippe pour qu’elle ne dérangeât point notre supplice, je résolus de me mettre tout de suite à la besogne, c’est-à-dire à la recherche du truc de la porte.

Mais d’abord il me fallut calmer M. de Chagny, qui déjà se promenait dans la clairière comme un halluciné, en poussant des clameurs incohérentes. Les bribes de la conversation qu’il avait pu surprendre, malgré son émoi, entre Christine et le monstre, n’avaient point peu contribué à le mettre hors de lui ; si vous ajoutez à cela le coup de la forêt magique et l’ardente chaleur qui commençait à faire ruisseler la sueur sur ses tempes, vous n’aurez point de peine à comprendre que l’humeur de M. de Chagny commençait à subir une certaine exaltation. Malgré toutes mes recommandations, mon compagnon ne montrait plus aucune prudence.

Il allait et venait sans raison, se précipitant vers un espace inexistant, croyant entrer dans une allée qui le conduisait à l’horizon et se heurtant le front, après quelques pas, au reflet même de son illusion de forêt !

Ce faisant, il criait : Christine ! Christine !… et il agitait son pistolet, appelant encore de toutes ses forces le monstre, défiant en un duel à mort l’Ange de la Musique, et il injuriait également sa forêt illusoire. C’était le supplice qui produisait son effet sur un esprit non prévenu. J’essayai autant que possible de le combattre, en raisonnant le plus tranquillement du monde ce pauvre vicomte : en lui faisant toucher du doigt les glaces et l’arbre de fer, les branches sur les tambours et en lui expliquant, d’après les lois de l’optique, toute l’imagerie lumineuse dont nous étions enveloppés et dont nous ne pouvions, comme de vulgaires ignorants, être les victimes !

« Nous sommes dans une chambre, une petite chambre, voilà ce qu’il faut vous répéter sans cesse… et nous sortirons de cette chambre quand nous en aurons trouvé la porte. Eh bien, cherchons-la ! »

Et je lui promis que, s’il me laissait faire, sans m’étourdir de ses cris et de ses promenades de fou, j’aurais trouvé le truc de la porte avant une heure.

Alors, il s’allongea sur le parquet, comme on fait dans les bois, et déclara qu’il attendrait que j’eusse trouvé la porte de la forêt, puisqu’il n’avait rien de mieux à faire ! Et il crut devoir ajouter que, de l’endroit où il se trouvait, « la vue était splendide ». (Le supplice, malgré tout ce que j’avais pu dire, agissait.)

Quant à moi, oubliant la forêt, j’entrepris un panneau de glaces et me mis à le tâter en tous sens, y cherchant le point faible, sur lequel il fallait appuyer pour faire tourner les portes suivant le système des portes et trappes pivotantes d’Erik. Quelquefois ce point faible pouvait être une simple tache sur la glace, grosse comme un petit pois, et sous laquelle se trouvait le ressort à faire jouer. Je cherchai ! Je cherchai ! Je tâtai si haut que mes mains pouvaient atteindre. Erik était à peu près de la même taille que moi et je pensais qu’il n’avait point disposé le ressort plus haut qu’il ne fallait pour sa taille — ce n’était du reste qu’une hypothèse, mais mon seul espoir. — J’avais décidé de faire ainsi, sans faiblesse, et minutieusement le tour des six panneaux de glaces et ensuite d’examiner également fort attentivement le parquet.

En même temps que je tâtais les panneaux avec le plus grand soin, je m’efforçais de ne point perdre une minute car la chaleur me gagnait de plus en plus et nous cuisions littéralement dans cette forêt enflammée.

Je travaillais ainsi depuis une demi-heure et j’en avais déjà fini avec trois panneaux quand notre mauvais sort voulut que je me retournasse à une sourde exclamation poussée par le vicomte.

« J’étouffe ! disait-il… Toutes ces glaces se renvoient une chaleur infernale !… Est-ce que