Page:Leroux - Le fantôme de l'Opéra, édition 1926.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
ERIK

fierté. Je suis libre de mes actions, monsieur de Chagny ; vous n’avez aucun droit à les contrôler et je vous prierai de vous en dispenser désormais. Quant à ce que j’ai fait depuis quinze jours, il n’y a qu’un homme au monde qui aurait le droit d’exiger que je lui en fasse le récit : mon mari ! Or, je n’ai pas de mari, et je ne me marierai jamais ! »

Disant cela avec force, elle étendit la main du côté de Raoul, comme pour rendre ses paroles plus solennelles, et Raoul pâlit, non point seulement à cause des paroles mêmes qu’il venait d’entendre, mais parce qu’il venait d’apercevoir, au doigt de Christine, un anneau d’or.

« Vous n’avez pas de mari, et, cependant, vous portez une « alliance ».

Et il voulut saisir sa main, mais, prestement, Christine la lui avait retirée.

« C’est un cadeau ! fit-elle en rougissant encore et en s’efforçant vainement de cacher son embarras.

— Christine ! puisque vous n’avez point de mari, cet anneau ne peut vous avoir été donné que par celui qui espère le devenir ! Pourquoi nous tromper plus avant ? Pourquoi me torturer davantage ? Cet anneau est une promesse ! et cette promesse a été acceptée !

— C’est ce que je lui ai dit ! s’exclama la vieille dame.

— Et que vous a-t-elle répondu, madame ?

— Ce que j’ai voulu, s’écria Christine exaspérée. Ne trouvez-vous point, monsieur, que cet interrogatoire a trop duré ?… Quant à moi… »

Raoul, très ému, craignit de lui laisser prononcer les paroles d’une rupture définitive. Il l’interrompit :

« Pardon de vous avoir parlé ainsi, mademoiselle… Vous savez bien quel honnête sentiment me fait me mêler, en ce moment, de choses qui, sans doute, ne me regardent pas ! Mais laissez-moi vous dire ce que j’ai vu… et j’en ai vu plus que vous ne pensez, Christine… ou ce que j’ai cru voir, car, en vérité, c’est bien le moins qu’en une telle aventure, on doute du témoignage de ses yeux…

— Qu’avez-vous donc vu, monsieur, ou cru voir ?

— J’ai vu votre extase au son de la voix, Christine ! de la voix qui sortait du mur, ou d’une loge, ou d’un appartement à côté… oui, votre extase !… Et c’est cela qui, pour vous, m’épouvante !… Vous êtes sous le plus dangereux des charmes !… Et il paraît, cependant, que vous vous êtes rendu compte de l’imposture, puisque vous dites aujourd’hui qu’il n’y a pas de Génie de la musique… Alors, Christine, pourquoi l’avez-vous suivi cette fois encore ? Pourquoi vous êtes-vous levée, la figure rayonnante, comme si vous entendiez réellement les anges ?… Ah ! cette voix est bien dangereuse, Christine, puisque moi-même, pendant que je l’entendais, j’en étais tellement ravi, que vous êtes disparue à mes yeux sans que je puisse dire par où vous êtes passée !… Christine ! Christine ! au nom du ciel, au nom de votre père qui est au ciel et qui vous a tant aimée, et qui m’a aimé, Christine, vous allez nous dire, à votre bienfaitrice et à moi, à qui appartient cette voix ! Et malgré vous, nous vous sauverons !… Allons ! le nom de cet homme, Christine ?… De cet homme qui a eu l’audace de passer à votre doigt un anneau d’or !

— Monsieur de Chagny, déclara froidement la jeune fille, vous ne le saurez jamais !… »

Sur quoi on entendit la voix aigre de la maman Valérius qui, tout à coup, prenait le parti de Christine, en voyant avec quelle hostilité sa pupille venait de s’adresser au vicomte.

« Et si elle l’aime, monsieur le vicomte, cet homme-là, cela ne vous regarde pas encore !

— Hélas ! madame, reprit humblement Raoul, qui ne put retenir ses larmes… Hélas ! Je crois, en effet, que Christine l’aime… Tout me le prouve, mais ce n’est point là seulement ce qui fait mon désespoir, car ce dont je ne suis point sûr, madame, c’est que celui qui est aimé de Christine soit digne de cet amour !

— C’est à moi seule d’en juger, monsieur ! fit Christine en regardant Raoul bien en face et en lui montrant un visage en proie à une irritation souveraine.

— Quand on prend, continua Raoul, qui sentait ses forces l’abandonner, pour séduire une jeune fille, des moyens aussi romantiques…

— Il faut, n’est-ce pas, que l’homme soit misérable ou que la jeune fille soit bien sotte ?

— Christine !