Page:Leroux - Le fils de trois pères, Baudinière, 1926.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bas ! Entends-tu le tocsin ?… Oh ! c’est sinistre !

C’était sinistre, en effet, ce paysage nocturne qu’une flamme plus haute surgie de l’horizon arrachait à son repos et à son obscurité. Alors apparaissaient des rocs embrasés, de vieilles murailles, un coin de tour qui semblait achever de se consumer… Tandis qu’au premier plan, des groupes tordus d’oliviers découpaient leurs ombres désespérées et que les figuiers aux doigts crochus penchaient sur la route rose leur torture noire. Et au-dessus de tout cela la voix lugubre du tocsin de la Fourca auquel répondaient de tous les coins du plateau et de la vallée d’autres bronzes lointains qui pleuraient la désolation de l’heure.

Le « boïa » et Castel s’étaient tus. La voiture elle-même semblait hésiter à s’enfoncer davantage dans ce chaos fantasque. Soudain, le « boïa » fit :

— Entends-tu ces cris ? Tu es sûr que ce n’est pas autour de la Patentaine ?

— Mais non ! mais non, patron ! Vous savez bien que la route fait un coude, là-bas. C’est ce qui vous trompe.

— Quand je pense que ma femme et ma fille sont là-bas !

— Si c’est ça qui vous inquiète, rassurez-vous ! Je connais les gars de la Fourca, ils ne s’attaqueraient pas à des femmes !

— N’importe ! je n’étais pas tranquille. J’ai demandé à tout hasard au prince Hippothadée d’aller les rejoindre. On peut dire de lui ce qu’on voudra, mais il est brave !

— Je ne pourrais pas vous renseigner, patron, je ne le fréquente pas.