Page:Leroux - Le fils de trois pères, Baudinière, 1926.djvu/86

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quinze et qui avait fini par ressembler à ses chèvres dont elle avait le museau pointu, l’œil clair et le jarret solide (elle ouvrait toujours le bal), Titin était en train de prononcer l’un de ces discours dont il avait le secret et qui empaumaient toujours son monde, quoi qu’il dît.

Il était le porte-parole, l’organisateur, l’animateur, comme on dit maintenant, de la joie universelle.

Son langage, coloré, tantôt rude, tantôt caressant, fustigeait ou flattait suivant son bon plaisir. On disait toujours « amen ! » parce que toujours il s’arrangeait pour avoir les rieurs de son côté. Les autorités en entendaient parfois de vertes, mais aucune n’eût osé se fâcher, car, en politique, ce garçon, qui n’avait ni feu ni lieu, avait une influence immense.

Toutes les filles en étaient amoureuses, et nous oserons dire que plus d’une femme en possession d’époux eût volontiers pour Titin fait un léger accroc au contrat.

Titin n’a pas des épaules de portefaix, comme ses amis Tantifla, Bouta, Aiguardente et Pistafun, mais de taille moyenne et bien prise, admirablement musclé et râblé, ayant pratiqué au régiment les sports les plus rudes et fait la guerre dans des conditions terribles, sur la Somme, à Verdun, en Champagne il reçut les félicitations de ses chefs, lesquels avaient failli, pour indiscipline, le condamner à mort… Titin vous eût cassé un homme en deux comme une paille !…

Tout jeune, il se battait avec tout le monde. Pas un des gars qui était là n’eût pu dire qu’il n’avait reçu de lui une bonne trempe