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ROULETABILLE CHEZ LE TSAR

quand il poussait la porte ?… Ah ! on l’aurait eu… on l’aurait eu… On saurait !…

— Non !… Au moindre bruit, il n’avait qu’à tirer la porte. Un tour de clef, il nous échappait pour toujours… et il était prévenu !

— Petit misérable ! Comment, sachant qu’il allait venir, ne m’avez-vous pas laissée dans la chambre et n’avez-vous pas veillé, vous, en bas !

— Parce que, tant que j’aurais été en bas, il ne serait pas venu ! Il ne vient que lorsqu’il n’y a plus personne en bas.

— Ah ! les saints Pierre et Paul aient pitié d’une pauvre femme !… Qu’est-ce que tu penses donc ?… Qu’est-ce que tu penses donc ?… Moi, je ne pense plus rien !… Alors, dis-moi, dis-moi cela, tu dois le savoir, tu sais tout !… Allons… hein ?… je te demande la vérité… hein ?… Encore un envoyé du comité !… Toujours le comité central !… Toujours les nihilistes !…

S’il n’y avait que cela ! fit tranquillement Rouletabille.

— Tu as juré de me rendre folle ! Que veux-tu dire avec ton « s’il n’y avait que cela » ?

Rouletabille, imperturbable, ne répondit point à cette question.

— Qu’est-ce que vous avez fait de la potion ? dit-il.

— La potion… le verre du crime ! je l’ai enfermé dans ma chambre, dans l’armoire… là… là…

— Eh bien, madame, il faut le reporter, le verre du crime, où vous l’avez pris…

— Hein ?

— Oh ! après avoir versé le poison dans une fiole, avoir nettoyé le verre et l’avoir rempli d’une autre potion.

— Vous avez raison ! Vous pensez à tout ! Si le général se réveille et demande sa potion, il faut qu’il ne se doute de rien et que cependant il puisse boire.

— Il ne faut pas qu’il boive !…

— Eh bien, alors, pourquoi lui porter à boire ?

— Pour qu’on soit sûr, chère madame, que, s’il n’a pas bu, c’est qu’il n’a pas voulu… Un pur hasard, madame, s’il ne s’est pas empoisonné ! M’avez-vous compris, cette fois ?…

— Oui ! oui ! sur le Christ !… Mais, cependant, si le général se réveille et veut boire de son narcotique.

— Vous lui direz que je le lui défends !… Et voilà encore ce que vous ferez : quand on viendra ce matin dans la chambre du général, vous jetterez ostensiblement et naturellement cette potion inutile et éventée… et personne n’aura le droit de s’étonner que le général continue à jouir d’une excellente santé.

— Oui, oui, petit, tu es plus sage que le roi Salomon. Et la fiole au poison, qu’en ferai-je ?

— Vous me l’apporterez !

— Tout de suite…

Elle s’en alla et revint au bout de cinq minutes.

— Il dort toujours. J’ai mis le verre sur la table, hors de sa portée… Il faudrait qu’il m’appelle…

— Très bien !…alors, poussez la porte…fermez…nous avons des choses à nous dire.

Mais si on revenait par l’escalier de service ?

— Allons donc. On croit déjà le général empoisonné. C’est la première minute de tranquillité dont on puisse jouir dans votre chère maison…

— Quand tu auras fini de me faire frissonner d’horreur, petit démon… Tu garderas bien le secret, dis !… Le général en mourrait plus sûrement que s’il avait été réellement empoisonné. Mais que ferons-nous avec Natacha !… J’ose te le demander, à toi, à toi seul.

— Mais rien du tout !

— Comment rien ?

— Nous la regarderons…

— Ah ! oui… oui !…

— Et encore, Matrena, laissez-moi la regarder tout seul.