Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/248

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au propriétaire un revenu net, toutes dépenses de main-d'œuvre et autres payées. Avec de.l’argent on achète une maison qui produit des loyers. Or, la chose avec laquelle on peut acheter des objets spontanément productifs de revenu doit être considérée comme productive elle-même de revenu. Une grande congrégation catholique, celle des jésuites, partage avec Calvin le mérite d’avoir très nettement distingué les causes de l’intérêt et de l’avoir justifié[1].

  1. L’esprit de parti a tourné contre les jésuites la perspicacité pratique et l’intelligence scientifique dont ils avaient fait preuve en ce qui concerne l’intérêt de l’argent. Les jésuites justifiaient cet intérêt par deux principes appelés en latin le « lucrum cessans » et le « damnum emergens ». M. Paul Bert, dans la préface de son récent livre la Morale des Jésuites, rend compte ainsi qu’il suit de ces deux ingénieuses explications de l’intérêt du capital, auxquelles un économiste de nos jours n’aurait guère à changer. On doit regretter que M. Paul Bert qui, sans doute, ignorait que Calvin avait rivalisé sur ce point avec les jésuites, ait considéré comme une preuve de relâchement moral une doctrine qui est rigoureusement scientifique. Laissons la parole à M. Paul Bert :
    « Je ne puis résister au plaisir d’analyser l’intéressant chapitre relatif à l’usure, c’est-à-dire au prêt à intérêt. On sait que l’Église catholique le proscrit absolument, et l’on aime à voir là une application, qui malgré son exagération sied bien au moraliste chrétien, du principe de charité.
    « Voyons comment le Casuiste a tourné la difficulté : cela était important pour les Jésuites, admirables manieurs d’argent. Mais cela était difficile en présence de la proposition 41, condamnée par Innocent XI :
    « Donc, il m’est interdit, en vous prêtant 1,000 fr., que vous devrez me rendre dans dix ans, de vous dire : Chaque année vous me donnerez 50 francs d’intérêts.
    « Mais d’abord, en vous prêtant cet argent, je puis souffrir un certain préjudice je ne sais pas exactement lequel, mais je puis le prévoir. Il est donc juste que je m’en couvre à J’avance, en stipulant, par exemple, que dans dix ans vous me rendrez, non 1,000, mais bien 2,000 fr., si j’estime à 1,000 ff. le préjudice que j’aurai souffert.
    « Et puis, cet argent prêté, je ne puis plus m’en servir dans mon commerce ou mon industrie ; or, j’en aurais tiré bon parti. J’estime à 1,000 fr. le bénéfice que j’aurais pu faire en dix ans vous m’en avez empêche c’est donc 1,000 fr. de plus que vous me rendrez à l’époque fixée.
    « Mais ce n’est pas tout. Qui me dit que vous me rembourserez ? Dix ans, c’est bien loin. J’ai là un risque & courir ; cela vaut bien 500 fr., en bonne conscience, d’autant que vous ne passez pas pour très solvable.
    « Enfin, je compte bien que vous me payerez au jour fixé. Mais si cela n’avait pas lieu ? Si vous vous mettiez en retard ? Songez que je compte sur mon argent pour ce moment précis. Si vous ne me remboursez pas, ce sera dix francs par jour de retard c’est à prendre ou à laisser !
    « En voilà plus qu’il n’en faut, ce semble, et le pauvre emprunteur préférerait bien qu’on lui fasse payer 5 pour 100 de son capital. Aussi relève du Casuiste pourrait bien en être pour ses frais d’imagination. Mais, rassurez-vous : si la loi civile permet le prêt à intérêt, c’est-à-dire le limite, comme cela a lieu en France, voilà soudain que cette pratique, solennellement prohibée par