Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/28

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imagination en soit troublée : le refroidissement du globe, par exemple. Si quelque physicien démontre que la chaleur de la surface terrestre va en diminuant, que l’espèce humaine ne peut espérer une vie éternelle sur notre planète, que le séjour lui en deviendra, à la fin du temps, inhabitable, et que l’humanité est destinée à une totale disparition, quel esprit raisonnable s’attristerait de ces sombres prédictions, alors même que la science viendrait les confirmer ? Les douleurs et les anxiétés de nos extrêmes descendants peuvent intéresser notre intelligence, mais elles ne démontent pas plus notre âme que le souvenir des luttes et des misères de nos premiers aïeux. Si donc la théorie de Malthus ne doit acquérir quelque actualité que dans plusieurs dizaines de siècles, nous pouvons ne pas la faire entrer en ligne de compte, ne pas la considérer comme un problème contemporain[1]. Il y a des pays, cependant, où dès maintenant le surcroît de population par rapport à l’étendue des capitaux ou à la superficie du sol cultivable se fait sentir par la baisse des salaires en même temps que par la hausse des fermages ; la Flandre, une partie de l’Allemagne et de l’Italie sont dans ce cas ; mais le remède est tout trouvé et facile, c’est l’émigration dans toutes les régions inhabitées qui n’attendent que des bras.

Si la doctrine de Malthus a été placée trop haut dans l’école et qu’on lui ait attribué une importance exagérée, surtout prématurée, il en est de même de celle de Ricardo. L’homme, suivant lui, met d’abord en culture les sols naturellement les plus riches puis, lorsque la demande des produits agricoles augmente dans de vastes proportions, il défriche les terres de qualité inférieure ; le fermage représente l’écart entre le prix de revient sur les terres les plus fertiles, les plus anciennement cultivées, et le prix de revient sur les terres les plus arides que

  1. La théorie de Malthus qui hante beaucoup d’esprits a inspiré un grand nombre d’écrits singulièrement extravagants ou immoraux : nous ne citerons que l’ouvrage anglais Les éléments de la science sociale ou religion physique, sexuelle et naturelle, par un docteur en médecine. Ce livre, qui a eu plusieurs éditions et a été traduit en français, est d’un naturalisme parfois abject. Il se publie encore à l’heure actuelle, en Angleterre, un journal intitulé « Le Malthusien. »