Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/304

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industriel, les voies de transport, l’accumulation des capitaux, la découverte de la vapeur et de l’électricité ont singulièrement changé la condition du commerce et de l’industrie. Chacun a le sentiment confus de cette vérité ; mais il importe de l’analyser avec quelque précision.

L’industrie a passé par trois phases successives : 1° la phase patriarcale ; le caractère de cette période, c’est le travail domestique pour la consommation directe de la famille. Chaque individu ou du moins chaque petit groupe rudimentaire produit alors à peu près tout ce qu’il consomme : on cuit son pain avec sa propre farine, on file et on tisse même la laine que l’on possède, on fait ses propres vêtements ; on ne recourt à l’achat ou à l’échange en nature que dans des cas rares pour les objets dont la fabrication demande un apprentissage particulier c’est là l’état primitif de l’industrie et de la société. Il a disparu, depuis longtemps déjà, de l’Europe Occidentale ; cependant on en retrouvait des traces encore au dix-huitième siècle. Adam Smith nous apprend que de son temps ou quelques dizaines d’années auparavant les colonies anglaises de l’Amérique, différant singulièrement des jeunes colonies actuelles de l’Australie, ne faisaient qu’un très médiocre usage de la monnaie et ne recouraient même qu’exceptionnellement au troc. Certains moralistes et quelques réformateurs ont vanté cette organisation comme une sorte d’âge d’or et en souhaitent le retour : telle est la pensée qui inspire notamment un très curieux et instructif ouvrage : Les ouvriers européens de M. Le Play.

2° La seconde époque est celle de la division du travail, de la constitution des métiers, mais sans concentration des tâches dans de vastes ateliers communs. C’est cette seconde période qui a duré jusqu’au commencement du dix-neuvième siècle, ou plus exactement même jusqu’en 1820 ou 1830. La division et la spécialisation du travail ont fait alors surgir les métiers divers ; mais ceux-ci sont exercés par des légions de patrons ou de maîtres indépendants ils travaillent, en général, sur commandes, attendant le client, ne devançant pas