Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/330

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Le patron individuel se trouve en présence de l’association de capitaux contre laquelle il a peine à lutter. L’industrie presque sous toutes ses formes, le commerce aussi presque à tous ses degrés, deviennent la proie ou la pâture de l’association de capitaux. Il n’existe pour ainsi plus de houillères, de hauts-fourneaux ou d’ateliers de construction qui appartiennent à des industriels individuels ; l’association de capitaux a mis sa main sur ces branches de l’activité humaine et les a confisquées. Elle guette, d’ailleurs, toutes les autres et quand un chef d’industrie vient à s’éteindre, après une carrière heureuse, ce n’est pas d’ordinaire son fils, ni son frère, ni sa veuve, c’est l’association de capitaux qui lui succède. On l’a vu dernièrement pour l’un de nos grands magasins de Paris, le Bon Marché ; on l’a vu aussi pour un des cabarets élégants des boulevards, le Café anglais. L’association de capitaux est la vaste mer où viennent s’engloutir et se confondre, après plus ou moins de détours et de parcours indépendants, toutes les grandes entreprises individuelles. Nous disons l’association de capitaux et non pas l’association de personnes, ce qui est très-différent.

Le règne de Louis-Philippe s’était déjà signalé par cette extension de l’association. C’était alors la Société en commandite qui dominait, cette société bâtarde où les fondateurs, les directeurs, sous le nom de gérants, ont tous les pouvoirs et encourent une responsabilité illimitée, tandis que les actionnaires, simples spectateurs ou tout au plus indulgents contrôleurs, ne sont responsables que pour leur mise. Il y avait eu sous Louis-Philippe, dans les dernières années surtout du règne, un pullulement de sociétés en commandite il était sorti de terre comme une nuée d’éphémères qui s’agitaient et disparaissaient en quelques instants. Toutes les sociétés de bitumes, d’asphaltes, de mines, de stéarinerie qui virent alors le jour, dont les actions jouirent de primes énormes pour tomber bientôt à rien, sont innombrables. Le théâtre, la littérature, la caricature du temps ont châtié cette manie de fondations et flagellé ces abus. Le type de Robert-Macaire, celui de Mercadet, sont de cette époque. Les romans de Balzac, les croquis de Gavarni,