Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ricardo comme de Stuart Mill. C’est ce que les socialistes contemporains, notamment Lassalle, ont appelé la « loi d’airain ». À la longue, et quelles que soient les fluctuations momentanées du salaire, il doit arriver que l’ouvrier n’a que ce qui lui est nécessaire pour vivre et faire vivre les siens. On a varié cette formule, la reproduisant au fond sous des formes diverses. L’ouvrier, disait Adam Smith, est a la discrétion du maître ; or comme l’on ne peut supposer à l’ensemble des maîtres un grand esprit de sacrifice, l’ouvrier dans cette situation n’arrive jamais à gagner que ce qui lui est tout à fait indispensable. Stuart Mill, cependant, semble admettre chez la classe des entrepreneurs une philanthropie ou une charité générale, car il dit qu’il n’y a presque pas de métiers où les salaires ne pussent être abaissés si les patrons le voulaient : c’est proclamer que les patrons sont ou des saints ou des gens de peu d’entendement.

Toutes ces formules se ramènent à la même idée : le salaire ne comporte que la rémunération stricte qui permet à l’ouvrier de subsister ou de faire subsister les siens, et si parfois il s’élève au-dessus, c’est que le patron ne connaît pas son pouvoir ou ne veut pas en user. À côté de cette doctrine singulière, on a en Angleterre créé une sorte d’être de raison, qui est un véritable mythe, c’est ce que l’on appelle « le fonds des salaires ». Il y aurait dans chaque nation une sorte de réserve destinée à être distribuée entre les travailleurs manuels, à fournir les salaires, et que ceux-ci dans leur ensemble ne pourraient dépasser. Tous les efforts des ouvriers ne pourraient arriver à faire hausser leur propre rétribution tant que ce prétendu « fonds des salaires » ne se serait pas naturellement accru. Stuart Mill surtout a développé cette théorie sans parvenir à la rendre intelligible, sans donner une idée précise des éléments qui constituent ce prétendu fonds des salaires et des causes diverses qui peuvent l’augmenter ou le réduire. La plupart des économistes anglais ont adopté de confiance ces abstractions, sauf dans ces derniers temps où quelques-uns, comme Mac-Leod et Jevons, ont protesté contre la sco-