Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/473

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De ces trois causes qui ont concouru au même effet, la première n’aurait agi, si elle avait été seule, qu’avec une bien grande lenteur ; elle eût été insuffisante, quoique dans certaines régions, en Alsace et dans les houillères du Nord, elle ait été féconde en initiatives heureuses. Le nouveau régime politique, le suffrage universel, les expositions, la tendance philanthropique et humanitaire qui a dominé la société depuis 1848, ont influé aussi sur les dispositions des patrons et des directeurs d’usines. Ils se sont pris d’émulation, piqués d’amour-propre, et ont voulu se gagner la réputation d’hommes de bien, de citoyens vertueux et progressistes, en même temps qu’ils cherchaient à se concilier leur personnel devenu chaque jour plus indépendant, plus soucieux de ses droits, plus instruit de ses forces, parfois aussi plus susceptible et plus ombrageux. Ceux d’entre les industriels, et ils étaient singulièrement nombreux, qui, sous le régime du suffrage universel, voulaient obtenir quelque fonction élective, ou même dont l’ambition se bornait à rechercher quelque croix ou quelque médaille aux Expositions, se croyaient obligés et l’étaient souvent en effet de se montrer philanthropes. Cette préoccupation de passer pour philanthrope est devenue générale depuis 1848, de même qu’au dix-huitième siècle chacun voulait avoir la réputation d’un homme sensible ; on n’avait guère de ces soucis, de 1800 à 1848.

La seconde cause des améliorations dont nous parlons, l’action directe des ouvriers se concertant ou coalisés, a été à elle seule plus efficace encore, au moins d’une manière générale et pour l’ensemble du territoire, que la précédente. La grève n’a pas seulement de l’influence quand elle est déclarée et effective ; elle a une action préventive considérable la simple menace d’une grève, bien plus, la possibilité, l’éventualité d’une grève, en dehors même de toute menace réelle, est un frein d’une grande puissance. On peut dire autant de mal qu’on le veut des coalitions d’ouvriers, on peut se livrer aux calculs les plus démonstratifs sur les ruines que les grèves entassent, il n’en est pas moins vrai que le droit de coalition a singulièrement contri-