Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/500

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et le logement ; mais il leur procurera une foule de commodités, de facilités d’existence, de récréations, de garanties en cas de détresse, et vraiment, c’est tout ce que l’on peut réclamer.

Comparons la situation de l’homme avant l’établissement de la propriété privée, et celle de l’homme dans la société présente ou dans la société future. Quand la terre était commune, chaque être humain jouissait de ce que l’on a appelé les quatre droits primitifs qui, pour certains publicistes, sont des droits imprescriptibles : les droits de chasse, de pêche, de cueillette et de pâture. Chaque être humain pouvait poursuivre le gibier dans toute forêt, pêcher le poisson dans tout ruisseau, cueillir les fruits sauvages et les baies qui poussaient naturellement aux arbres, conduire son troupeau, s’il en avait un, dans tout pâturage. Voilà les quatre droits primitifs. Ces droits, il était impossible de les conserver sans les modifier car, l’exercice pur et simple pour tous les êtres humains de ces prérogatives empêchait la terre de produire et de se peupler. Ils ne mettaient pas, d’ailleurs, à l’abri de la disette, des intempéries, des fléaux de la nature, les rares individus existant dans ces sociétés primitives. Le droit de chasse n’assurait pas de la nourriture à l’homme malhabile, peu rapide a la course, ou d’une constitution faible ; cet homme se voyait enlever sous ses yeux le gibier par un voisin plus robuste, plus agile ou plus adroit. Il en était de même du droit de pêche, de ceux de pâture et de cueillette. Ces quatre droits primitifs ne garantissaient ni l’enfance, ni la vieillesse, ne fournissaient aucun abri contre les intempéries, aucune sauvegarde contre les maladies. Les faibles mouraient de détresse, de misère, d’abandon sous ce régime antérieur à toute civilisation, ou bien ils n’avaient pour secours que la charité de leurs voisins plus heureux ; mais ces voisins plus heureux avaient eux-mêmes peu de moyens d’aider ceux qui étaient maltraités du sort[1].

  1. On trouve dans une coutume océanienne la preuve du peu de garantie qu’offrait la jouissance des quatre droits primitifs : dans la Nouvelle-Calédonie et dans beaucoup d’autres îles les sauvages, quand ils sont parvenus à la vieillesse, qui pour eux arrive tôt, se font mettre à mort par leurs enfants. Les quatre droits primitifs ne permettent pas aux faibles de subsister.